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INTRODUCTION

chaque personnage pour faire d’eux les interprètes bénévoles, les preneurs de l’injustice et de la tyrannie[1]. Qu’on le traite, si l’on veut, de prédicant et de sectaire, mais il est dans la logique de son rôle en considérant les effets, non le but, de ces apologies trop éloquentes et de ces représentations trop fidèles. En tout cas, nous ne pouvons trouver que tout naturel le fait que l’assaut décisif contre la poésie ait été reculé jusqu’après ces Livres VIII et IX, où Platon nous décrit les déchéances extrêmes que la poésie a non seulement flattées et célébrées, mais contribué à produire.


Les arguments
de l’accusation.

Voici donc par quels arguments Platon justifie d’avoir banni de sa cité parfaite la poésie qui est purement imitative. Ils peuvent se résumer, nous le savons déjà, dans ces deux chefs d’accusation : la poésie est un art d’illusionnisme, la poésie est un art d’impressionnisme. À ces deux titres, elle est une force de perversion (595 c-607 a).

Illusionniste, elle l’est, comme la peinture et comme toute imitation déformante. Qu’est-ce, en effet, que l’imitation ? Pour le savoir, procédons comme nous le faisons d’ordinaire.

  1. Platon a pu profiter de certains passages d’Euripide, v. g. dans Archélaos, frgt 250 (si les tyrans étaient immortels, ils jouiraient de tous les bonheurs), Phéniciennes, 524 et suiv. (la tyrannie vaut bien un crime) — d’autre part, Suppliantes, 404 et suiv. (Thésée louant la liberté d’Athènes) et tant de passages qui donneraient presque raison à Aristophane l’accusant d’avoir flatté le peuple (v. g. Andromaque, 699 et suiv. etc., cf. P. Masqueray, Euripide et ses idées, p. 381/3). Il aurait pu aussi bien tenir compte des railleries contre la foule, que mènent à leur gré les orateurs ; contre ceux-ci, qui cherchent moins à être utiles qu’à plaire (Hécube, 131, 254 et suiv. Ion, 832 et suiv. Hippolyte, 486 et suiv.) — et de tant de traits dispersés dont on composerait une image du tyran semblable à celle que nous donne Platon lui-même : flatteur de la foule (Antigone, fr. 171), ennemi des honnêtes gens (Péliades, fr. 605), s’entourant de scélérats (Ion, 627), faisant violence aux riches, aux femmes (Suppl., 448 et suiv.), soupçonneux et craintif, haï, s’effondrant au moindre choc (Ino, fr. 420). Mais voir aussi, dans Masqueray qui rassemble tous ces textes, cette adresse et cette complaisance d’Euripide à plaider les deux thèses contraires (v. g. le débat entre Thésée et le héraut pour et contre la démocratie, 399-456). — Cf. Burnet, Essays and Addresses (Londres, 1929), p. 57-63.