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INTRODUCTION

entretien qui l’a précédé et qui va servir de base à la suite d’exposés que le Timée prétend inaugurer ? Socrate a bâti la veille le plan de la meilleure cité, comme en rêve et en souhait ; ses compagnons vont, par une imagination hardie, mettre cette meilleure cité en existence et en action, Timée racontant d’abord la naissance et l’histoire du monde jusqu’à l’homme, et Critias profitant de l’histoire contée à Solon par les prêtres Égyptiens sur l’Athènes « d’il y a neuf mille ans » pour montrer, dans cette lointaine Athènes, la cité idéale de Socrate réalisée par avance, et conter les exploits que lui valut son admirable constitution. On s’étonne que Platon limite son choix entre les détails que lui fournissait sa République, celle que nous avons ? Mais précisément pour que la conversation imaginée restât conversation et ne tournât pas au décalque pédant d’une œuvre publiée, que tout le monde pouvait lire, il fallait qu’il fût bien visible qu’elle ignorait de grosses parties de cette œuvre. Ainsi l’illusion pouvait durer, qu’on avait devant soi le vrai Socrate, parlant à des gens de son temps, leur rappelant ce qu’il avait dit la veille et s’arrangeant avec eux pour donner une suite à ces doctes propos. Si Platon prend la peine d’attester que le résumé est fidèle, c’est précisément parce qu’il le sait infidèle pour qui le regarderait comme « le résumé d’un livre », et afin que, le sentant infidèle, on oublie le livre assez pour croire à la conversation qui se continue et y prêter sa curiosité, tout en s’en souvenant assez pour jouir des allusions qui y sont faites et des rappels plus larges qu’elles permettent. Car pourquoi, par exemple, dans ce résumé qui ne rappelle que l’essentiel des Livres II-V, nous est-il dit que les gardiens sont nourris non seulement dans la gymnastique et la musique, mais aussi μαθήμασιν τε ὅσα προσήκει τούτοις… ἐν ἅπασι. (18 a) ? N’est-ce pas pour entr’ouvrir un instant l’horizon infiniment plus large des Livres VI et VII ? Platon a besoin, pour son jeu, que notre pensée oscille entre le livre que nous avons lu et la conversation qui nous est racontée. Aussi place-t-il la conversation un jour de fête, comme le dialogue, mais, pour le dialogue, c’était la fête des Bendidies ; pour la conversation, ce sont les Panathénées. Il a soin de changer les noms des auditeurs, car Critias et ses amis ont bien été les auditeurs de la conversation qu’on résume, non pas ceux de la conversation ni même du récit de conversation qui constitue