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LA RÉPUBLIQUE

Je ne sais pas, dit-il.

Tu ne sais pas que le vrai mensonge, si l’on peut employer cette expression, est également détesté des dieux et des hommes ?

Que veux-tu dire ?

Je veux dire, repris-je, que personne ne consent à être trompé dans la partie maîtresse de son être et sur les choses les plus importantes, et qu’on ne craint rien tant que d’y loger le mensonge.

Je ne comprends pas encore, dit-il.

bTu crois sans doute que je dis quelque chose de transcendant. Non, je dis que ce qu’on supporte avec le plus de peine, c’est d’être et de rester trompé dans son âme sur la nature des choses, d’être dans l’ignorance et d’avoir et de garder le mensonge en son âme, et qu’il n’est en aucune matière plus détesté.

Il s’en faut de beaucoup, dit-il.

À proprement parler, repris-je, le vrai mensonge, pour reprendre mon expression de tout à l’heure, c’est l’ignorance[1] qui est dans l’âme de l’homme trompé ; car le mensonge exprimé dans les paroles n’est qu’une imitation de l’état de l’âme, une image qui se produit à la suite ; cce n’est pas un mensonge absolument pur[2], n’est-il pas vrai ?

Tout à fait vrai.


XXI  Ainsi donc le vrai mensonge est détesté non seulement des dieux, mais encore des hommes.

C’est mon avis.

Mais pour le mensonge en paroles, quand et à qui est-il assez utile pour n’être plus haïssable ? N’est-ce pas à l’égard des ennemis et de ceux que nous appelons amis, quand la fureur ou la démence les porterait à quelque mauvaise action ? Le mensonge ne devient-il pas alors utile comme un

  1. Pour Platon, comme pour Socrate, le vice est ignorance, et il est involontaire. Cette doctrine reparaît plus bas III 413 A, IX 689 C. Cf. Soph. Fr. 663 ἡ δὲ μωρία μάλιστ’ ἀδελφὴ τῆς πονηρίας ἕφυ : la folie est la sœur naturelle de la méchanceté.
  2. Il n’est pas absolument pur, parce que celui qui parle connaît la vérité ; son mensonge est par là mêlé de vérité.