Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
394 d
105
LA RÉPUBLIQUE

sais rien pour le moment ; mais partout où le souffle de la raison nous poussera, nous nous y rendrons.

C’est bien dit, répondit-il.


Les gardiens ne
cultiveront pas
l’imitation.
e

Examine maintenant, Adimante, si nos gardiens doivent être ou non habiles dans l’imitation. Ne résulte-t-il pas de ce que nous avons dit précédemment que chacun peut pratiquer convenablement un métier, mais un seul, et qu’à vouloir mettre la main à plusieurs on ne réussit dans aucun, au moins de manière à se faire une réputation ?

Ce n’est pas douteux.

N’en faut-il pas dire autant de l’imitation ? Le même homme peut-il imiter plusieurs choses aussi bien qu’une seule ? Non, certainement.

395Encore moins peut-il à la fois remplir des fonctions importantes et imiter plusieurs choses avec habileté, puisque même les deux imitations qui paraissent si voisines l’une de l’autre, je veux dire la comédie et la tragédie, ne sauraient être pratiquées avec succès par le même poète[1] ; car tu les rangeais bien tout à l’heure l’une et l’autre parmi les imitations ?

Oui, et tu as raison de dire qu’on ne peut les pratiquer ensemble.

On ne peut même pas être à la fois rhapsode et acteur.

C’est vrai.

Ce ne sont même pas les mêmes acteurs qui jouent la comédie et la tragédie, bet pourtant tout cela est de l’imitation, n’est-ce pas ?

C’est de l’imitation.

Il me paraît même, Adimante, que la nature de l’homme est monnayée en pièces encore plus petites, de sorte qu’il est impossible de bien imiter plusieurs choses ou de faire les choses mêmes qu’on reproduit par l’imitation.

  1. Socrate affirme le contraire dans le Banquet 223 D : « Il appartient au même homme de savoir faire une comédie et une tragédie, et celui qui par art compose des tragédies peut aussi composer des comédies. » Dans le Banquet, Socrate se place au point de vue de l’art, c’est-à-dire de la science, qui doit pouvoir cultiver les deux genres ; dans la République, il se place au point de vue historique et