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INTRODUCTION

Ainsi le même problème se pose et les mêmes explications s’offrent que dans le cas où nous supposons la République tout entière publiée postérieurement à la comédie d’Aristophane. Ce résultat vaut-il que nous reculions la composition des Livres II-IV plus loin que ne le permettent les résultats les plus vraisemblables de la stylistique ? Le plus simple est donc de traiter en bloc au moins les Livres II-X comme postérieurs à l’Assemblée des Femmes. Nous trouverons alors très naturelles les précautions que prend Platon pour introduire son projet de communauté des femmes. Étrange, inouï, scandaleux, ce projet l’est encore même à l’heure où il se présente, quelques années au moins après la comédie d’Aristophane, car une comédie est un jeu où l’on peut introduire tous les rêves qu’on veut, une cité commandée par les femmes et conduite au rebours de toutes les règles de gouvernement ou de morale usuelles, aussi bien qu’une cité bâtie en l’air par les oiseaux[1]. Plus c’est extravagant, plus on rit, parce qu’on est venu là pour entendre et voir des choses qui ne se voient ni ne s’entendent. Mais proposer sérieusement de telles choses est scandaleux : les gens vont se révolter. À moins qu’ils ne crient : « Au fou ! », car les proposer sérieusement après que le comédien s’en est fait un succès de rire dans une pièce que le public a fraîche encore dans sa mémoire, qu’il a sous les yeux, c’est le comble du ridicule. Or, en fait, Platon est autant sinon plus préoccupé du ridicule que du scandale. Non pas seulement pour le spectacle des femmes s’exerçant nues à la palestre, faisant des armes et montant à cheval, où il avoue le danger, mais aussi pour le reste de ses projets, où il le brave en l’ignorant délibérément (402 b/c). Car sa tactique est manifeste. L’Assemblée des Femmes ne parle ni des femmes gymnastes ni des femmes soldats. Lysistrata y a fait peut-être allusion jadis, mais c’est lointain[2]. Aussi est-ce à ce propos que Platon évoque et,

  1. Cf. Van Daele (Aristophane, tome V, Paris, 1930, Notice, p. 11) : « Fiction ingénieuse, fantaisie amusante, prétexte à scènes gaies et spirituelles, …l’Ass. d. Femmes n’a point d’autre portée. »
  2. Un seul vers (82, γυμνάδδομαι γὰρ καὶ ποτὶ πυγὰν ἅλλομαι) parle de gymnastique, mais nullement de gymnastique en commun.

    Je ne réussis pas non plus à trouver, dans ce que L. Post (Cl. Weekly, 1927, p. 41/4) nous raconte sur le Stratiotides de Théopompe (Fr. 54-58, Kock, I, 747/8), la preuve d’allusions à la 1re édition de