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INTRODUCTION

s’expose par une telle prétention ! Les gens d’esprit ne seront pas les derniers à l’en punir. Eh bien ! disons-leur avec lui que cette prétention n’est pas trop haute en faveur de vrais philosophes. Qu’entendons-nous, en effet, par la philosophie ? Par définition même, elle est l’amour de la sagesse. Amour, donc passion exigeante, insatiable : le philosophe est avide de toute sorte de sapience, il veut tout savoir. Non qu’il soit de ces gens frivoles et trépidants qui courent les spectacles et les auditions, ou de ces tatillons qui se perdent dans les petits savoir-faire. Son « tout savoir », à lui, c’est un savoir de fond, qui va uniquement et directement à la vérité et la saisit tout entière. Or, la vérité est-elle dans les apparences ondoyantes et diverses qui flattent nos yeux et nos oreilles ? De belles voix, de belles figures, de belles couleurs sont-elles le beau ? Non, elles n’en sont que de pâles et changeants reflets ; celui qui s’y attarde et s’en contente sans chercher plus avant, celui-là n’embrasse qu’un semblant et ne forme en son esprit aucune pensée certaine, mais seulement une opinion (δόξα). Sa pensée n’est pas vide, ce qu’elle saisit n’est pas un néant, c’est la demi-réalité et le demi-néant d’un songe. Pour saisir du réel, il faut que, derrière ce flottement chatoyant, elle pénètre jusqu’à la source unique et permanente, à la Forme-type (εἶδος) dont les choses belles, bonnes, justes, empruntent passagèrement leur qualification, car elles ne sont belles, bonnes et justes que sous un aspect et pour un temps, mais la Forme dont elles participent est belle ou bonne ou juste par elle-même et pour toujours. Seule, elle est vraiment par nature et par droit ce qu’elle est ; les choses ne sont ce qu’elles sont qu’en participant d’elle et trouvent en elle, pour cette part de réalité précise, la loi et la source de leur structure. De telles Formes ou Idées (εἶδη, ἰδέαι), beauté, bonté, justice, sainteté, grandeur, égalité, pesanteur en soi, voilà les réalités que saisit la science ; elle les saisit en leur unité distincte et leur immutabilité permanente, que n’altèrent ni leurs mutuelles relations, ni les relations où elles se prêtent avec les choses et les actions individuelles. Aux gens d’esprit qui refusent d’admettre de telles existences et prétendent vivre dans ce qu’ils appellent le réel, c’est-à-dire dans cette réalité de rêve offerte par les sens et toujours ballottée entre l’être et le non-être, disons très doucement, sans les vouloir fâcher, qu’ils se parent indûment