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INTRODUCTION

devait être sensible à ces idées d’union contre l’ennemi de la race, puisque les rhéteurs qui se succédaient périodiquement aux grandes fêtes olympiques ne trouvaient pas de thème plus inépuisable que celui-là pour leurs discours d’apparat. Mais ni Gorgias, ni Lysias, ni même Isocrate ou Platon, ni les phrases les plus savantes ni les plus patriotiques appels, n’eurent de force contre des fatalités trop vieilles : ce n’est peut-être d’ailleurs pas parce que les hommes se savent parents et frères qu’ils sentent moins vives leurs oppositions d’intérêts et d’orgueil[1]. Au moins Platon veut que ces guerres entre Hellènes soient avouées pour ce qu’elles sont : des guerres civiles ; qu’on en limite le plus possible les ravages, comme on ferait pour une peste, et qu’on n’y commette rien d’inexpiable, rien dont la paix de demain doive rester empoisonnée (471 c).

Différée un instant, la question essentielle doit pourtant être résolue : la cité de justice que nous construisons ici n’est-elle qu’un rêve pieux ? Pouvons-nous, au contraire, espérer qu’elle se réalise un jour, ne fût-ce que de façon approchée ? Que faut-il, pratiquement, pour que s’établisse, dans les institutions et dans les mœurs, cet esprit de collaboration ordonnée et de communauté parfaite ? Une seule chose, répond Socrate, mais plus difficile encore et plus inouïe que toutes les autres, bien que très simple : que les philosophes arrivent au pouvoir ou que les hommes au pouvoir deviennent philosophes (473 d).

À quelles railleries, à quelle grêle de pierres peut-être il

  1. Sur les tendances panhelléniques à cette époque, cf. G. Mathieu, Les Idées Politiques d’Isocrate, Paris, 1925, en particulier, p. 17-28 (l’idée d’unité hellénique avant Isocrate : discours olympique de Gorgias, 392, de Lysias, 388, et [Lysias] Oraison Funèbre, vers 398) et p. 29-64 (les idées directrices d’Isocrate). Il est bon de voir (v. g. dans E. Scharr, Xen. Staats u. Ges. ideal, p. 45-95) comment, même chez les plus nobles esprits, ces tendances généreuses sont contrariées ou absorbées par le patriotisme de clocher, et comment surtout, dans la politique concrète des cités, les exigences panhellènes émises par l’un ou l’autre camp ne sont d’ordinaire que des paravents pour des buts égoïstes. Mais il faut compter aussi avec le poids lourd du passé et les nécessités vitales immédiates. Cf. Bulletin de l’Assoc. G. Budé, No 27 (avril 1930), p. 22/3. Platon, avec ses vœux précis et limités, est vraiment ici l’homme des réalisations.