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INTRODUCTION

qu’il y a de plus excellent parmi les êtres (532 c)[1]. Si enfin Platon n’exalte ici que les caractères formels du Bien, son universalité, sa transcendance idéale, sa réalité suprêmement agissante, rappelons-nous que son contenu positif et topique est fourni aux gouvernants par toute la réalité sociale dont ils ont la charge, et qu’il importait surtout de relever et sanctifier cette réalité sociale en la suspendant et l’exhaussant jusqu'à la plus haute des réalités intelligibles. Le programme d’éducation des gouvernants est un programme d’ascension continue vers le Bien. Si transcendant que soit le terme de cette ascension, si intellectuelles et si techniques parfois qu’en puissent paraître les démarches, elle demeure toujours animée de cet esprit noblement pratique : s’instruire pour contempler, contempler pour agir[2].


La conversion
et ses degrés.
La ligne.

Deux images nous feront comprendre ces oppositions et ces correspondances entre le monde visible et le monde intelligible. Soit d’abord une droite quelconque ; divisons-la en deux segments inégaux, puisque l’un, qui représentera le monde visible, est de beaucoup inférieur en valeur à l’autre, représentant le monde invisible (509 d). Divisons maintenant chacun de ces segments suivant la même raison. Nous distinguerons ainsi, dans le monde visible, d’une part les images, ombres, reflets des eaux et des surfaces polies ;

  1. Gorgias, 503 d-505 : le Bien est fin parce qu’il est forme, ordre constitutif et loi de structure, expression achevée d’une réalité ou d’une nature ; c’est cela que cherche à réaliser tout créateur, peintre, architecte, constructeur (et c’est ce que réalisera le Démiurge dans le Timée). La gradation εἶδος, τάξις, κόσμος est ici savamment agencée. Bien général et bien propre sont ainsi définis, et l’un comme l’autre inclus plus loin (508) dans l’égalité géométrique, synonyme et fondement de l’ordre. Sur l’échelle finale des biens dans le Philèbe (66 a/d) et la définition du Bien par les trois termes beauté, mesure, vérité, cf. A. Diès, Autour de Platon, p. 385-399 ; sur les rapports du Bien au Démiurge, ou bien au Tout du Timée (passim), des Lois (821 a et 908 b/c), du Sophiste (248 e-249 d), cf. ib., p. 537-570 et p. 583/5.
  2. Sur le caractère hautement pratique de l’Idée du Bien dans la République, cf. P. Shorey, Unity, p. 16 et suiv., Idea of Good, p. 196/7, 216/7, 228.