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INTRODUCTION

eût satisfait davantage Platon (527 a/b). D’autre part, il n’y a pas de science du visible (529 b). C’est ici que Platon heurte le plus nettement notre conception moderne de la science et, disons-le, celle des chercheurs de son temps. Que reproche-t-il, en effet, aux astronomes ? De prétendre expliquer scientifiquement les mouvements des astres et découvrir, dans le ciel visible et ses constellations, un ordre véritable (529 a/c). Que reproche-t-il à l’acoustique savante que sont en train de créer ses amis, les Pythagoriciens de l’école d’Archytas ? De chercher, entre les sons mêmes que perçoit l’oreille, des rapports harmoniques (531 a/c). Pour lui, si parfait que soit le ciel et si bon son créateur, il est matériel, il appartient au devenir et n’est pas susceptible d’un ordre absolu. Moins susceptibles encore d’une exacte harmonie sont évidemment les sons matériels. Ce n’est pas en eux qu’il faut chercher les justes consonances : c’est dans les nombres. Ce n’est pas dans les constellations qu’il faut chercher les vraies figures ni les vraies vitesses ni les rapports qu’elles ont entre elles : c’est dans les Formes et dans les nombres intelligibles. Une musique mathématique, un ciel mathématique et idéal, voilà ce vers quoi tend Platon dans cet essai de réforme. Si abstrait qu’il puisse paraître, si dangereuse qu’en dût être l’application radicale, ce programme n’a cessé d’agir sur le développement de la science pure comme un appel jamais totalement satisfait et toujours efficace[1].

Mais, à supposer que les sciences mathématiques le remplissent, elles ne conduiront pas encore au terme voulu. Elles ne nous mettront un peu avant sur la voie que si nous en faisons la synthèse, pour saisir leurs mutuels rapports et leur intime parenté, qui est, on le voit par tout ce qui précède, d’offrir à l’esprit des problèmes de plus en plus élevés

  1. Cf. Cantor, Gesch. d. Math., 202-216 ; Adam, II, 136/8 et n. ad 528 e (l’astronomie poétique et métaphysique de Pl. « has a permanent value even in the history of Astronomy as a passionate protest against mere empiricism », etc.) ; Tannery, Mém. sc., VII, p. 55/8 (la position qu’a prise Platon lui permet de garder son esprit libre et prêt à accueillir toute idée neuve, etc.) ; Duhem, Le système du monde, I, p. 94/6 ; Taylor, Plato, p. 290/1 ; Frank, 161/7. Les Lois (VII, 819 a-822 c) portent, dans l’enseignement des mathématiques, le même esprit que Rép., VII.