Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 1.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
420 b
6
LA RÉPUBLIQUE IV

verons ce qu’il faut répondre. Nous dirons en effet qu’il n’y aurait rien d’étonnant à ce que cette condition même de nos guerriers fût très heureuse, mais qu’au reste notre but, en fondant un État, n’est pas de rendre une classe unique de citoyens particulièrement heureuse, mais d’assurer le plus grand bonheur possible à l’État tout entier, parce que nous avons cru que c’est dans un État de ce genre que la justice se découvrirait le mieux, de même que l’injustice dans l’État le plus vicieux, cet que cette découverte nous mettrait à même de trancher la question qui nous occupe depuis longtemps. Or à présent, c’est l’État heureux, du moins nous le croyons, que nous voulons former, sans faire acception de personne ; car nous voulons le bonheur, non de quelques-uns, mais de tous ; aussitôt après nous examinerons l’État contraire. Si nous étions occupés à peindre une statue et que quelqu’un s’approchât et nous blâmât de ne pas appliquer les plus belles couleurs aux plus belles parties du corps, et cela parce que nous aurions peint les yeux, qui en sont le plus bel ornement, non en vermillon, mais en noir, nous serions, je crois, dans le vrai en lui répondant : d« Ô surprenant critique, ne t’imagine pas que nous devions peindre des yeux si beaux qu’ils ne soient plus des yeux, non plus d’ailleurs que toute autre partie ; considère plutôt si, donnant à chaque partie la couleur qui lui convient, nous rendons l’ensemble parfait. C’est la même chose ici ; ne nous fais donc pas attacher à la condition des gardiens une félicité qui fera d’eux tout autre chose que des gardiens. eNous pourrions tout aussi bien revêtir les laboureurs de robes traînantes, les couvrir d’or et leur permettre de ne travailler la terre que pour leur plaisir ; coucher aussi nos potiers sur des lits, les faire boire à la ronde et banqueter devant leur feu, leur roue à côté d’eux, avec la liberté de travailler quand il leur plairait. Nous pourrions donner à tous les autres un bonheur du même genre, afin que la cité tout entière soit heureuse. Mais garde-toi de nous y engager ; car, si nous t’écoutions, le laboureur ne serait plus laboureur, ni le potier, potier, 421et personne ne restant

    les gouvernants ont droit à une part de bonheur au moins égale à celle des simples citoyens. Socrate juge que ce n’est pas le moment d’élucider la question ; il le fera à propos du communisme qui délivrera les guerriers de tout souci matériel (v. 465 D et suiv.).