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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VII, 2.djvu/156

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LA RÉPUBLIQUE IX

dl’honnêteté et de la malhonnêteté, sinon sur ce fait que l’honnêteté soumet la partie bestiale de notre nature à la partie humaine, ou, pour mieux dire peut-être, à la partie divine, et que la malhonnêteté asservit la partie douce à la partie sauvage ? En tombera-t-il d’accord ? sinon, que dira-t-il ?

Il en tombera d’accord, dit-il, s’il veut m’en croire.

Ceci posé, repris-je, est-il un homme qui puisse avoir avantage à prendre de l’or injustement, s’il est vrai qu’il ne peut le faire sans asservir du même coup la partie la meilleure de lui-même à la plus mauvaise ? eS’il est vrai qu’un homme qui, pour de l’or, livrerait son fils ou sa fille en esclavage et à des maîtres sauvages et méchants ferait un mauvais marché, même s’il touchait pour cela une somme énorme, comment croire que celui qui asservit sans pitié la partie la plus divine de lui-même à la partie la plus impie et la plus impure ne sera pas malheureux et qu’il ne sera point, en se laissant corrompre à prix d’or, 590plus funeste à lui-même qu’Ériphyle[1] livrant pour un collier la vie de son époux ?

Beaucoup plus, dit-il Glaucon ; car je réponds pour lui.


Le vice asservit
l’homme à la bête
qui est en lui.

XIII  Si donc on a toujours blâmé l’intempérance, n’est-ce pas, à ton avis, parce qu’en s’y abandonnant on lâche la bride à la terrible, à la monstrueuse bête à plusieurs formes, plus qu’il ne faudrait ?

C’est évident, dit-il.

Si l’on blâme de même l’arrogance et l’humeur irascible, n’est-ce pas en voyant que bla bête à forme de lion et de serpent[2] grandit et se développe au détriment de l’harmonie ?

C’est bien pour cela.

De même pour le luxe et la mollesse, ce qui les fait blâ-

  1. Ériphyle, femme d’Amphiaraos, roi-prophète d’Argos, gagnée à prix d’or par Polynice, avait persuadé à son mari de prendre part à l’expédition contre Thèbes. Il y périt, comme il l’avait prévu. Cf. Odyssée X, 826-7.
  2. Il n’est pas question d’élément serpentin dans la description de la bête à têtes et à formes multiples ; mais il se peut qu’il soit compris dans la suite du lion, τὰ περὶ τὸν λέοντα 588 e. Le serpent symbolise sans doute quelques formes basses du θυμοειδές, comme la δυσκολία. Cf. Théognis, 601 sq. : ἔρρε, θεοῖσίν τ’ ἐχθρὲ καὶ ἀνθρώποισιν ἄπιστε | ψυχρὸν ὃς ἐν κόπλῳ ποικίλον εἶχες ὄφιν.