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LA RÉPUBLIQUE VIII

Oui.

Or c’est la passion insatiable de la richesse et l’indifférence qu’elle inspire pour tout le reste qui a perdu l’oligarchie.

C’est vrai, dit-il.

Eh bien, n’est-ce pas de même le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien suprême qui cause aussi sa ruine ?

Quel est ce bien dont tu parles ?

La liberté, répondis-je. Ce bien-là, tu entendras dire dans un État démocratique cque c’est le plus beau de tous, et que pour cette raison c’est le seul État où un homme né libre puisse habiter[1].

En effet, dit-il, c’est un mot qu’on entend souvent répéter.

Eh bien, repris-je, et c’est où j’en voulais venir, n’est-ce pas le désir insatiable de ce bien, avec l’indifférence pour tout le reste, qui fait changer ce gouvernement et le réduit à recourir à la tyrannie ?

Comment ? demanda-t-il.

Quand un État démocratique, altéré de liberté, trouve à sa tête de mauvais échansons, dil ne connaît plus de mesure et s’enivre de liberté pure ; alors, si ceux qui gouvernent ne sont pas extrêmement coulants et ne lui donnent pas une complète liberté, il les met en accusation et les châtie comme des criminels et des oligarques.

C’est ce qu’il fait en effet, dit-il.

Et s’il est des citoyens, repris-je, qui sont soumis aux magistrats, on les bafoue et on les traite d’hommes serviles et sans caractère ; mais les gouvernants qui ont l’air de gouvernés, et les gouvernés qui ont l’air de gouvernants, voilà les gens qu’on vante et qu’on prise, et en particulier, et en public, N’est-il pas inévitable eque dans un pareil État l’esprit de liberté s’étende à tout ?

Comment en serait-il autrement ?

Et qu’il pénètre, cher ami, poursuivis-je, dans l’intérieur des familles et qu’à la fin l’anarchie se développe jusque chez les bêtes ?

  1. Ce passage est comme un écho des panégyriques de la liberté dont on jouissait à Athènes. Cf. Euripide, Ion 671-2 : « Puisse ma mère être d’Athènes, pour que je tienne d’elle le droit de parler librement ! » Cf. Thucydide II, 87 et Platon Ménexène 239.