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LETTRE VIII

et amis, ou le moins nuisibles aux uns et aux autres, voilà qui n’est point aisé à voir ni à réaliser quand on l’a compris, et un conseil en pareille matière ou une tentative d’explication ressemble plutôt à un souhait pieux[1]. Que ce soit donc un souhait pieux, — car les dieux doivent être 353 toujours le principe de toutes nos paroles et de toutes nos pensées, — et puisse-t-il trouver son accomplissement en nous inspirant de réflexions du genre de celles qui vont suivre.

Actuellement vous et vos ennemis, à peu près depuis le temps où la guerre sévit[2], vous n’avez cessé d’obéir à une famille que vos pères jadis ont élevée au pouvoir à un moment d’extrême détresse, lorsque la Sicile, terre de Grecs, courait le danger pressant d’être entièrement dévastée et réduite à la barbarie par les Carthaginois. Car vos pères choisirent alors Denys, à cause de sa jeunesse et de sa valeur guerrière, pour les affaires militaires qui étaient de sa compétence, b prirent comme conseiller, à cause de l’expérience de l’âge, Hipparinos, et pour sauver la Sicile, les nommèrent, dit-on, dictateurs militaires. Est-ce à une fortune divine et à un dieu, est-ce à la valeurs des chefs, est-ce à ces deux causes aidées par le concours des citoyens d’alors, que l’on veut attribuer le salut qui survint[3] ? — À chacun d’avoir son opinion, — en tout cas, ce fut bien le salut pour cette génération. Il est donc juste, puisque ces sauveurs se sont montrés si remarquables, que c tous gardent de la reconnaissance envers eux. Si, dans la suite, la tyrannie abusa du présent de la cité, elle en a déjà en partie subi le châtiment et elle doit encore en être punie[4]. Mais quelle serait bien la peine nécessairement juste pour les

  1. Platon emploie fréquemment le terme εὐχή au sens de pieux désir, de souhait dont on n’espère guère la réalisation. Cf. Républ. V, 450 d ; VII, 540 d ; Lois V, 739 d.
  2. La guerre, pour les Siciliens, c’est la guerre contre l’ennemi héréditaire, les Carthaginois. Elle dura soixante-dix ans, à peu près sans interruption depuis 409.
  3. Pour l’expression αὐτοκράτορας… στρατηγούς, voir la notice particulière. Diodore (XIII, 91-96) raconte longuement les événements qui amenèrent Denys au pouvoir et contribuèrent au salut de la Sicile. Les troubles occasionnés par les victoires carthaginoises et l’incapacité des chefs syracusains risquèrent d’anéantir la Sicile entière (XII, 91, 2). Une dictature s’imposait pour le salut du pays.
  4. À l’époque où la lettre est écrite, Denys est en fuite et la Sicile est au pouvoir de ses adversaires.