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THÉAGÈS

quer, je pouvais discuter avec n’importe qui et je ne paraissais inférieur à personne dans cet art[1]. Aussi je recherchais la société des gens les plus distingués. Mais à présent, c’est tout le contraire : je fuis tous ceux chez qui même je constate de la culture, tant j’ai honte de mon ignorance ». — « Est-ce subitement, m’informai-je, que cette capacité t’a abandonné, ou peu à peu ? » — « Peu à peu », me répondit-il. — d« Et quand tu l’avais, continuai-je, l’avais-tu grâce à quelque enseignement de ma part, ou de quelque autre manière ? » — « Je vais te dire, Socrate, reprit-il, une chose incroyable, par les dieux, mais pourtant vraie. De toi, je n’ai jamais rien appris, tu ne l’ignores pas. Néanmoins, je progressais quand je me trouvais dans ta compagnie, même si seulement j’étais dans la même maison, sans être dans la même chambre, mais bien plus si j’étais dans la même chambre, et j’avais l’impression que c’était beaucoup plus encore, lorsqu’étant dans la même chambre que toi, tandis que tu parlais, je te regardais, bien plus que lorsque je portais ailleurs mes regards ; emais là où mes progrès devenaient le plus considérables, c’était quand, assis auprès de toi, je me tenais bien près et pouvais te toucher[2]. Au lieu qu’à présent, ajouta-t-il, toute cette belle capacité s’est écoulée ».

Voilà, Théagès, quel est l’effet de mes leçons. Si cela plaît à Dieu, tu progresseras grandement et vite ; sinon, non. Vois donc s’il ne serait pas plus sûr pour toi de t’instruire auprès de ces maîtres qui peuvent, à leur gré, rendre service aux hommes, plutôt que, en restant auprès de moi, de te livrer au hasard.


Conclusion.

131Théagès. — À mon avis, voici comment nous nous y prendrons : nous ferons l’expérience de ton signe divin en nous attachant l’un à l’autre. S’il nous laisse faire, c’est parfait : sinon, nous aviserons aussitôt au parti qu’il faut prendre, soit que nous

  1. D’après Platon, c’est plutôt le contraire que produisait l’influence de Socrate. Ceux qui le fréquentaient, loin d’acquérir l’art de la discussion, s’apercevaient de leur ignorance et cherchaient à s’instruire. Tandis que les sophistes se vantaient de former en peu de temps leurs disciples à la dialectique ou à l’éristique (cf. Euthydème, 272 b).
  2. Cf. dans le Banquet, 175 d, l’invitation que fait Agathon à