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SECOND ALCIBIADE

sachions en réalité, cela même que nous sommes prêts à dire ou à faire ? » (144 d). Et plus loin : « Il est dès lors avantageux à la plupart des gens de ne rien savoir ni croire savoir, sinon ils auront plus à cœur d’agir comme ils savent ou croient savoir, et ce faisant, il leur arrivera le plus souvent plus de perte que de profit» (146 d). Ces textes ne visent-ils pas à établir une équivalence entre la science réelle et une illusion du savoir, entre εἰδέναι et οἴεσθαι εἰδέναι, ce qui est évidemment antiplatonicien ? D’Arcésilas, au contraire, il nous est expressément rapporté par Cicéron (Acad. I, 45), qu’il ne mettait aucune différence entre les états psychologiques du savoir et du croire savoir, et Sextus Empiricus nous apprend que, sans préjudice de son scepticisme scientifique, il acceptait dans les questions de la vie pratique un seul critérium, la vraisemblance (Adv. dogm. I, 158).

À notre avis, l’argumentation de Bickel ne résout pas pleinement le problème. Pour saisir le vrai sens des textes allégués, il faut les replacer dans leur cadre : là seulement ils prennent toute leur valeur. On se rend compte alors que l’auteur du dialogue n’a pas songé à soutenir cette parité entre la science et l’apparence de la science, bien au contraire. Il insiste sur ce fait que l’ignorance est préférable à une fausse science : c’est quand on s’imagine savoir ce qu’on ne sait pas, qu’on s’attire les plus grands maux. Il veut démontrer que n’importe quelle connaissance perd son utilité si elle ne s’accompagne de la science du Bien. L’érudition, séparée de la direction morale, est funeste. Et le dialogiste développe sa pensée au moyen d’exemples : toutes les fois que nous agissons, nous savons, ou du moins nous croyons savoir comment il faut agir. Vérité d’expérience ne supposant nullement que l’on mette sur le même plan science et apparence de science. C’est tout simplement l’affirmation d’une réalité psychologique : on n’agit point si on ne croit pas, au moins, pouvoir agir en connaissance de cause. Du reste, ce développement n’est encore qu’une imitation du premier Alcibiade, où Platon enseigne que les erreurs de conduite proviennent précisément « de ce genre d’ignorance qui consiste à croire que l’on sait ce que l’on ne sait pas », argumentation qui conclut par une formule semblable à celle du second Alcibiade : Τότε που ἐπιχειροῦμεν πράττειν, ὅταν οἰώμεθα εἰδέναι ὅ τι πράττομεν ; — Ναί (117 d).