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SECOND ALCIBIADE

sur le principe que les dieux sont méchants, parce qu’ils sont censés exaucer toutes les prières qu’on leur adresse, viendraient-elles de gens sans raison ? L’exemple d’Œdipe en serait une preuve. Mais, comme l’a bien montré Brünnecke dans son étude sur le second Alcibiade[1], ce présupposé n’existe pas. Le but de Socrate est, en effet, de mettre les hommes en garde contre les prières téméraires, faites sans réflexion et sans sagesse et qui attirent sur ceux qui les formulent la légitime colère des dieux. De semblables vœux seront exaucés et ce sera leur châtiment. Aux hommes, par conséquent, d’être prudents dans leurs demandes et de ne pas se laisser guider par leurs caprices ou leurs sentiments, mais par la seule raison. — Telle est exactement aussi la doctrine des Lois. L’Athénien, porte-parole de Platon, légifère, au livre VII, au sujet des chants qui conviennent à la jeunesse ; il veut que ces chants soient en même temps des prières. Mais « les poètes doivent bien savoir, déclare-t-il, que les prières sont des demandes adressées aux dieux. Qu’ils apportent donc la plus grande attention à ne pas solliciter, à leur insu, du mal, le prenant pour du bien : le résultat d’une pareille prière serait, en effet, ridicule pour qui l’aurait faite… » Les poètes prendront bien garde de ne pas induire leurs concitoyens en erreur, en pareille matière, car nulle faute ne serait plus grave (801 a, c). Des formules comme celles que l’on rencontre à diverses reprises dans le second Aldbiade, telle celle-ci : Ἀλλὰ μέγα ἔργον τί μοι δοκεῖ εἶναι, καὶ ὡς ἀληθῶς πολλῆς φυλακῆς, ὅπως μὴ λήσει τις αὑτὸν εὐχόμενος μὲν κακά, δοκῶν δὲ τἀγαθά… (148 a), ne sont-elles pas l’écho de celle que nous citions à l’instant : « …δεῖ δὴ τὸν νοῦν αὐτοὺς σφόδρα προσέχειν μή ποτε λάθωσιν κακὸν ὡς ἀγαθὸν αἰτούμενοι… » (Lois 801 a, b) ?

Il est dangereux de faire des vœux que la raison n’inspire pas, affirme encore le livre III des Lois. Que de fois il arrive à un père d’adjurer les dieux de ne point écouter les prières d’un fils, ou à un fds celles d’un père ! « ... il ne faut ni demander aux dieux, ni désirer ardemment que les événements suivent notre volonté, mais plutôt que notre volonté elle-même suive notre raison… la sagesse est la seule chose que les États, comme les individus, doivent implorer des

  1. De Alcibiade II qui fertur Platonis, dissert. Gottingae, 1912.