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ÉRYXIAS

mairien ou musicien ou acquérir quelque autre science, alors qu’on ne peut s’en rendre maître sans l’apprendre d’un autre ou sans la découvrir par soi-même[1] ? » — dIl convint aussi de cela. — « Par conséquent, dit le jeune homme, toi, Prodicos, quand tu demandes aux dieux le bonheur et les biens, tu ne leur demandes rien de plus que de te rendre honnête et bon, puisque tout est bon pour les gens honnêtes et bons, tout est mauvais pour les méchants. Et s’il est vrai que la vertu peut s’enseigner, tu m’as l’air de leur demander simplement qu’ils t’enseignent ce que tu ne sais pas ». — Alors, moi, je dis à Prodicos que ce n’était pas, eà mon avis, une petite affaire, s’il lui arrivait de se tromper sur ce point et de croire que tout ce que nous demandons aux dieux, nous l’obtenons aussitôt. « Si toutes les fois que tu te rends à la ville, tu pries avec ferveur, demandant aux dieux de t’accorder les biens, tu ne sais pas pourtant s’ils peuvent te donner ce que tu leur demandes ; c’est comme si tu allais frapper à la porte d’un grammairien et le suppliais de t’accorder la science grammaticale, sans rien faire de plus, espérant la recevoir sur le champ et pouvoir accomplir l’œuvre du grammairien[2] ».

Tandis que je parlais, Prodicos se préparait à faire une charge contre le jeune homme, pour se défendre et démontrer les mêmes choses que toi, tout à l’heure. 399Il se fâchait de paraître invoquer les dieux en vain. Mais le gymnasiarque survint et le pria de quitter le gymnase, car il débitait des discours qui ne convenaient pas pour les jeunes gens, et du moment qu’ils ne convenaient pas, il est évident qu’ils étaient mauvais. Je t’ai raconté cette scène pour que tu voies quels sont les sentiments des hommes à l’égard de la philosophie[3]. Quand c’était Prodicos qui tenait ce discours, il paraissait aux audi-

    serait, en fait, reconnaître qu’il n’existe en réalité, et indépendamment du sujet, ni biens, ni maux.

  1. Cf. Alcibiade I, 106 d, 8, Sisyphe, 389 e, 14 et dans ce dernier dialogue, la note 2 de la p. 71.
  2. Sur les difficultés de la prière et les dangers des demandes faites aux dieux, sans réflexion, cf. Alcibiade II. Socrate insiste sur ce fait que la prière suppose avant tout la droiture d’âme et la justice, et qu’il ne suffit pas de demander pour obtenir, quelles que soient, du reste, les dispositions intérieures.
  3. Le terme φιλοσοφία est ici synonyme de sophistique ou de