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DÉMODOCOS

Car, évidemment, s’ils ont de la compétence, ils ne prendront pas sur eux de donner un avis à tort. — D’autre part, si leur avis est le même, est-il besoin que tous le donnent ? Un seul d’entre eux qui apporte ce même avis sera bien suffisant. Et faire du zèle pour des choses parfaitement inutiles, n’est-ce pas ridicule ? Donc ce zèle des gens ignorants, s’il est tel, ne peut pas ne pas être absurde et des hommes sensés n’auraient pas ce zèle, csachant qu’un seul d’entre eux produira le même effet en conseillant ce qu’il faut. Aussi, comment ne pas trouver ridicule le zèle de ceux qui prétendent vous donner leur avis ? J’en suis incapable.

Pour le suffrage que vous vous proposez de porter, quelle peut bien être sa signification, voilà, pour moi, la plus grande difficulté[1]. Jugez-vous, en effet, ceux dont les avis sont compétents ? Mais tous ensemble ne feront pas plus d’un conseiller et leurs avis ne différeront pas sur le même sujet. Ainsi n’aurez-vous pas à porter là-dessus un suffrage. dJugez-vous, au contraire, ceux qui ne savent pas et conseillent mal ? Mais ne convient-il pas d’écarter de telles gens du rôle de conseillers, comme des insensés ? Et si vous ne jugez ni ceux qui sont compétents, ni ceux qui ne le sont pas, qui donc jugez-vous ? Et d’abord, pourquoi faut-il que les autres vous donnent des conseils, si vous êtes capables de les juger vous-mêmes ? Et si vous ne l’êtes pas, quelle valeur peuvent avoir vos suffrages ? eN’est-il pas ridicule de vous réunir pour délibérer, comme si vous aviez besoin de conseils et ne vous suffisiez pas à vous seuls, puis, une fois réunis, de vous imaginer qu’il faut voter, comme si vous étiez capables de juger ? Car, vous ne direz pas que, isolément, vous manquez de science,

    on ne l’en écoute pas davantage, mais au contraire on se moque de lui et on fait du bruit, jusqu’à ce qu’enfin le donneur de conseils ou s’en aille de lui-même devant le tapage, ou soit arraché de la tribune et chassé par les archers sur l’ordre des prytanes » (traduct. A. Croiset). Cf. également Alcibiade I, 106, c et suiv., Gorgias, 455 b. Le même thème est encore traité par l’auteur du Sisyphe.

  1. L’aporie, développée ici d’une façon diffuse, à savoir, la contradiction qui existe entre le fait de se réunir pour écouter un avis et le fait d’apprécier par un vote cet avis, est résumée à la page suivante (382 b) : vous vous rassemblez, comme si étant incompétents vous aviez besoin de conseillers, et vous votez, comme si, au lieu d’avoir besoin de conseillers, vous étiez capables de donner un avis autorisé.