Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/109

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ses poèmes que j’ai composé les miens, car je savais bien que ce n’était pas chose aisée, mais que c’était pour éprouver le sens de certains songes et que, pour acquitter ma conscience, je voulais m’assurer si c’était bien ce genre de musique qu’ils me prescrivaient de cultiver. Voici en effet de quoi il s’agissait. Souvent, dans ma vie passée, j’ai eu la visite du même songe ; il apparaissait tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, mais il me disait toujours la même chose : « Socrate, fais œuvre de poète et cultive la musique. » Et moi, jusqu’ici, je croyais que c’était précisément ce que je faisais qu’il m’encourageait et m’excitait à pratiquer, et que, comme on encourage les coureurs, le songe m’excitait, moi aussi, à poursuivre mon occupation, à pratiquer la musique ; car, pour moi, la philosophie est la musique la plus haute, et c’est à elle que je m’appliquais. Mais à présent que mon procès a eu lieu et que la fête du dieu a fait surseoir ma mort, j’ai cru que je devais, si peut-être le songe me prescrivait de me livrer à la musique ordinaire, ne pas lui désobéir et m’y appliquer ; car il est plus sûr de ne pas partir avant d’avoir déchargé ma conscience en composant des poèmes pour obéir au songe. C’est ainsi que j’ai d’abord fait œuvre de poète en l’honneur du dieu dont on célébrait la fête. Après cela, je pensai qu’un poète qui veut l’être réellement devait composer des fictions et non des discours, et comme je ne me sentais pas ce talent, je pris les fictions qui étaient à ma portée et que je savais par cœur, celles d’Ésope, et je mis en vers les premières qui me vinrent à la mémoire.

V. — Voilà, Cébès, l’explication que je te charge de donner à Évènos, avec mes salutations, en ajoutant que, s’il est sage, il me suive le plus vite possible. Car je m’en vais, paraît-il, aujourd’hui : c’est l’ordre des Athéniens. »

Simmias se récria : « Quelle recommandation, Socrate, fais-tu là à Évènos ! J’ai souvent rencontré le personnage, et il est à peu près sûr, d’après ce que je sais de lui, qu’il ne mettra aucune bonne volonté à t’écouter.

— Hé quoi ! repartit Socrate, n’est-il pas philosophe, ton Évènos ?

— Je crois qu’il l’est, dit Simmias.

— Alors il y consentira, lui et tout homme qui participe à la philosophie comme il convient. Seulement il ne se fera sans doute pas violence à lui-même ; car on dit que cela n’est pas permis. »