Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/108

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hui. » Il ne resta d’ailleurs pas longtemps sans revenir et il nous dit d’entrer.

En entrant, nous trouvâmes Socrate qu’on venait de délier et Xanthippe, que tu connais, assise à côté de lui, avec leur jeune enfant dans les bras. Dès qu’elle nous aperçut, Xanthippe se mit à pousser des cris et à proférer des plaintes, comme les femmes ont coutume d’en faire. « Ah ! Socrate, dit-elle, c’est aujourd’hui la dernière fois que tes amis te parleront et que tu leur parleras. » Alors Socrate, tournant les yeux vers Criton : « Criton, dit-il, qu’on l’emmène à la maison. » Et des gens de Criton l’emmenèrent poussant des cris et se frappant la poitrine.

Quant à Socrate, il se mit sur son séant dans son lit, puis, repliant sa jambe, il se la frotta avec sa main et, tout en frottant, nous dit : « Quelle chose étrange, mes amis, paraît être ce qu’on appelle le plaisir ! et quel singulier rapport il a naturellement avec ce qui passe pour être son contraire, la douleur ! Ils refusent de se rencontrer ensemble chez l’homme ; mais qu’on poursuive l’un et qu’on l’attrape, on est presque toujours contraint d’attraper l’autre aussi, comme si, en dépit de leur dualité, ils étaient attachés à une seule tête. Je crois, poursuivit-il, que si Ésope avait remarqué cela, il en aurait composé une fable, où il aurait dit que Dieu, voulant réconcilier ces deux ennemis et n’y pouvant réussir, leur attacha la tête au même point, et que c’est la raison pour laquelle, là où l’un se présente, l’autre y vient à sa suite. C’est, je crois, ce qui m’arrive à moi aussi, puisqu’après la douleur que la chaîne me causait à la jambe, je sens venir le plaisir qui la suit. »

IV. — Alors Cébès prenant la parole : « Par Zeus, Socrate, dit-il, il est heureux que tu m’en aies fait souvenir ; car, à propos des poésies que tu as composées en mettant en musique les fables d’Ésope et un prélude pour Apollon, plusieurs personnes m’ont déjà demandé, et l’autre jour encore Évènos, quelle idée tu as eue, depuis que tu es ici, de composer des vers, toi qui jusque-là n’en avais point fait de ta vie. Si donc tu tiens à ce que je puisse répondre à Évènos, quand il me posera de nouveau la question, car je suis sûr qu’il n’y manquera pas, apprends-moi ce qu’il faut que je lui dise.

— Eh bien, Cébès, répondit Socrate, dis-lui la vérité, que ce n’est pas dans le dessein de rivaliser avec lui ni avec