Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/111

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c’est que ce sont des dieux qui s’occupent de nous et que, nous autres hommes, nous sommes un des biens qui appartiennent aux dieux. Ne crois-tu pas que cela soit vrai ?

— Je le crois, dit Cébès.

— Toi-même, reprit Socrate, si l’un des êtres qui sont à toi se tuait lui-même, sans que tu lui eusses notifié que tu voulais qu’il mourût, ne lui en voudrais-tu pas, et ne le punirais-tu pas, si tu avais quelque moyen de le faire ?

— Certainement si, dit Cébès.

— Si l’on se place à ce point de vue, peut-être n’est-il pas déraisonnable de dire qu’il ne faut pas se tuer avant que Dieu nous en impose la nécessité, comme il le fait aujourd’hui pour moi.

VII. — Ceci du moins, dit Cébès, me paraît plausible. Mais ce que tu disais tout à l’heure, que les philosophes se résigneraient facilement à mourir, cela, Socrate, semble bien étrange, s’il est vrai, comme nous venons de le reconnaître, que c’est Dieu qui prend soin de nous et que nous sommes ses biens. Car que les hommes les plus sages quittent de gaieté de cœur ce service où ils sont sous la surveillance des meilleurs maîtres qui soient au monde, les dieux, c’est un acte dépourvu de raison, vu qu’ils n’espèrent pas, n’est-ce pas, se gouverner eux-mêmes mieux que les dieux, une fois qu’ils seront devenus libres. Sans doute un fou peut s’imaginer qu’il faut s’enfuir de chez son maître, sans réfléchir qu’il ne faut pas s’évader de chez un bon maître, mais, au contraire, autant que possible, rester près de lui : il s’enfuirait ainsi sans raison. Mais un homme sensé désirera toujours, j’imagine, rester auprès de celui qui est meilleur que lui. À ce compte, Socrate, c’est le contraire de ce que nous disions tout à l’heure qui est vraisemblable : c’est aux sages qu’il sied de se chagriner, quand vient la mort, aux insensés de s’en réjouir. »

Socrate, à ce qu’il me sembla, avait pris plaisir à entendre Cébès et à le voir si alerte d’esprit. Il tourna les yeux vers nous et dit : « Cébès est toujours en quête d’arguments, et il n’a garde d’admettre tout de suite ce qu’on lui dit.

— Eh mais, dit Simmias, je suis d’avis, moi aussi, Socrate, que, pour cette fois, le raisonnement de Cébès ne manque pas de justesse ; car dans quel but des hommes vraiment sages fuiraient-ils des maîtres qui valent mieux qu’eux et s’en sépareraient-ils le cœur léger ? Et je suis