Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/139

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varie suivant la variété des conditions où il se trouve, puisque les choses de ce genre sont sensibles et visibles, tandis que ce qu’elle voit par elle-même est intelligible et invisible.

— En conséquence, persuadée qu’il ne faut pas s’opposer à cette délivrance, l’âme du vrai philosophe se tient à l’écart des plaisirs, des passions, des chagrins, des craintes, autant qu’il lui est possible. Elle se rend compte en effet que, quand on est violemment agité par le plaisir, le chagrin, la crainte ou la passion, le mal qu’on en éprouve, parmi ceux auxquels on peut penser, comme la maladie ou les dépenses qu’entraînent les passions, n’est pas aussi grand qu’on le croit, mais qu’on est en proie au plus grand et au dernier des maux et qu’on n’y prête pas attention.

— Quel est ce mal, Socrate ? demanda Cébès.

— C’est que toute âme humaine, en proie à un plaisir ou à un chagrin violent, est forcée de croire que l’objet qui est la principale cause de ce qu’elle éprouve est très clair et très vrai, alors qu’il n’en est rien. Ces objets sont généralement des choses visibles, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Or n’est-ce pas quand elle est ainsi affectée que l’âme est le plus strictement enchaînée par le corps ?

— Comment cela ?

— Parce que chaque plaisir et chaque peine a pour ainsi dire un clou avec lequel il l’attache et la rive au corps, la rend semblable à lui et lui fait croire que ce que dit le corps est vrai. Or, du fait qu’elle partage l’opinion du corps et se complaît aux mêmes plaisirs, elle est forcée, je pense, de prendre les mêmes mœurs et la même manière de vivre, et par suite elle est incapable d’arriver jamais pure dans l’Hadès : elle est toujours contaminée par le corps quand elle en sort. Aussi retombe-t-elle promptement dans un autre corps, et elle y prend racine comme une semence jetée en terre, et par suite elle est privée du commerce de ce qui est divin, pur et simple.

— C’est très vrai, Socrate, dit Cébès.

XXXIV. — Voilà donc pour quelles raisons, Cébès, les véritables amis du savoir sont tempérants et courageux, et non pour les raisons que le vulgaire s’imagine. Est-ce que tu penserais comme lui ?

— Moi ? non certes.

— Et tu fais bien : c’est comme je le dis que raisonne