Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/140

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l’âme du philosophe. Elle ne pense pas que la philosophie doive la délier pour qu’au moment où elle la délie, elle s’abandonne aux plaisirs et aux peines et se laisse enchaîner à nouveau et pour qu’elle s’adonne au travail sans fin de Pénélope défaisant sa toile. Au contraire, elle se ménage le calme du côté des passions, suit la raison et ne s’en écarte jamais, contemple ce qui est vrai, divin et ne relève pas de l’opinion, et s’en nourrit, convaincue que c’est ainsi qu’elle doit vivre, durant toute la vie, puis après la mort, s’en aller vers ce qui lui est apparenté et ce qui est de même nature qu’elle, délivrée des maux humains. Une âme ainsi nourrie, Simmias et Cébès, et qui a pratiqué ce détachement n’a pas du tout à craindre d’être mise en pièces en quittant le corps, et, dispersée par les vents, de s’envoler dans tous les sens et de n’être plus nulle part. »

XXXV. — Ces paroles de Socrate furent suivies d’un silence qui dura longtemps. Lui-même était visiblement absorbé par ce qui avait été dit au cours de l’entretien et la plupart d’entre nous l’étaient aussi. Cependant Cébès et Simmias s’entretenaient entre eux à voix basse. Socrate, s’en étant aperçu, s’adressa à tous les deux « Hé ! dit-il, peut-être trouvez-vous que ce que nous avons dit est insuffisant. Il reste en effet bien des doutes et des objections à examiner, si l’on veut approfondir comme il faut la question. Si c’est d’un autre sujet que vous vous occupez, je n’ai rien à dire. Mais si c’est à propos du nôtre que vous êtes embarrassés, n’hésitez pas à parler vous-mêmes et à vous expliquer, si vous pensez qu’il y a mieux à dire sur le sujet, et à votre tour, prenez-moi pour second, si vous croyez que je puisse vous aider à sortir d’embarras. »

A quoi Simmias répondit : « Je vais te dire la vérité, Socrate. Depuis un moment, chacun de nous, en proie au doute, pousse et engage l’autre à te poser une question, car nous avons grande envie de t’entendre, mais nous hésitons à te déranger, de peur que cela ne te soit désagréable dans ta situation. »

En entendant cela, Socrate se prit à rire doucement et dit : « Parbleu, Simmias, j’aurais vraiment de la peine à persuader aux autres hommes que je ne regarde pas ce qui m’arrive comme un malheur, quand je ne puis même pas vous en persuader vous-mêmes, et quand vous avez peur de me trouver d’humeur plus chagrine