Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/39

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Phèdre et les autres convives, que vous, les grands buveurs, soyez rendus, car nous autres, nous n’avons jamais su boire. Je fais exception pour Socrate, qui est également capable de boire et de rester sobre, en sorte que, quel que soit le parti que nous prendrons, il y trouvera son compte. Puisque donc aucun de ceux qui sont ici ne semble être en humeur d’abuser du vin, peut-être vous ennuierai-je moins en vous disant ce que je pense de l’ivresse. Mon expérience de médecin m’a fait voir que l’ivresse est une chose fâcheuse pour l’homme, et je ne voudrais pas pour mon compte recommencer à boire, ni le conseiller à d’autres, surtout s’ils sont encore alourdis par la débauche de la veille.— Pour moi, dit alors Phèdre de Myrrhinunte, je t’en crois toujours, surtout quand tu parles médecine, mais les autres t’en croiront aussi aujourd’hui, s’ils sont sages. »

Après avoir entendu ces paroles, tout le monde fut d’accord de ne point passer la présente réunion à s’enivrer et de ne boire qu’à son plaisir.

V. — Érixymaque reprit : « Puisqu’on a décidé que chacun boirait à sa guise et sans contrainte, je propose d’envoyer promener la joueuse de flûte qui vient d’entrer ; qu’elle joue pour elle-même ou, si elle veut, pour les femmes à l’intérieur ; pour nous, passons le temps aujourd’hui à causer ensemble ; si vous voulez, je vais vous proposer un sujet d’entretien. » Ils répondirent tous qu’ils le voulaient bien, et le prièrent de proposer le sujet.

Érixymaque reprit : « je commencerai comme dans la Mélanippe (9) d’Euripide : ce que je vais vous dire n’est pas de moi, mais de Phèdre ici présent. En toute occasion Phèdre me dit avec indignation : « N’est-il pas étrange, Érixymaque, que nombre d’autres dieux aient été célébrés par les poètes dans des hymnes et des péans (10), et qu’en l’honneur d’Éros, un dieu si vénérable et si puissant, pas un, parmi tant de poètes que nous avons eus, n’ait jamais composé aucun éloge ? Veux-tu aussi jeter les yeux sur les sophistes habiles, tu verras qu’ils composent en prose des éloges d’Héraclès et d’autres, témoin le grand Prodicos (11), et il n’y a là rien que de naturel. Mais je suis tombé sur le livre d’un sophiste où le sel était magnifiquement loué pour son utilité, et les éloges d’objets aussi frivoles ne sont pas rares. N’est-il pas étrange qu’on mette tant d’application