Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/44

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tournent leur tendresse vers le sexe masculin, naturellement plus fort et plus intelligent ; et même, parmi eux, on peut reconnaître ceux qui subissent uniquement l’influence de cet Éros en ce qu’ils n’aiment pas ceux qui sont encore des enfants, mais ceux qui commencent à prendre de l’intelligence, ce qui arrive vers le temps de la puberté. En s’attachant aux jeunes gens de cet âge, ils ont bien le dessein de rester toujours ensemble et de vivre en commun, au lieu de courir à d’autres amours, après avoir trompé un jeune sot qui leur sert de risée.

Il devrait y avoir une loi qui défende d’aimer les enfants, afin qu’on ne gaspille pas tant de soins pour une chose incertaine ; car on ne peut prévoir ce que deviendra un enfant et s’il tournera bien ou mal, soit au moral, soit au physique. Les hommes de bien s’imposent spontanément cette loi à eux-mêmes ; il faudrait l’imposer aussi aux amants vulgaires, comme on les contraint, dans la mesure du possible, à s’abstenir d’aimer les femmes de condition libre. Ce sont eux, en effet, qui ont décrié l’amour des garçons, au point que certaines gens osent dire que c’est une honte de complaire à un amant ; s’ils parlent ainsi, c’est en voyant les amours déplacés de ces amants malhonnêtes ; car aucune action conforme à l’ordre et à la loi ne mérite d’être blâmée.

La règle sur laquelle on juge l’amour dans les autres État s est facile à saisir ; car elle est simple et précise ; ici au contraire (et à Lacédémone) (24), elle est compliquée ; en Élide, en Béotie et dans les pays où l’on n’est pas habile à parler, on admet simplement qu’il est bien d’accorder ses faveurs à son amant, et personne, ni vieux, ni jeune, ne dirait qu’il y a là de la honte ; on veut, je crois, échapper à l’embarras de gagner les jeunes garçons par la parole, parce qu’on ne sait pas parler. En Ionie, au contraire, et dans beaucoup d’autres pays où dominent les barbares, l’amour des garçons passe pour honteux ; les barbares, en effet, craignant pour leur tyrannie, attachent de la honte à cet amour, comme à la philosophie et à la gymnastique : ce n’est pas, j’imagine, l’affaire des tyrans de laisser se former parmi leurs sujets de grands courages, ni des amitiés et des sociétés solides, comme l’amour excelle à en former. C’est ce que l’expérience apprit aux tyrans d’Athènes. L’amour d’Aristogiton et l’amitié d’Harmodios solidement cimentés détruisirent leur domination. Ainsi là où la coutume s’est établie de tenir pour honteuses les faveurs qu’on accorde à un