Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/53

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droit sur deux jambes. S’ils continuent à se montrer insolents et ne veulent pas se tenir en repos, je les couperai encore une fois en deux, et les réduirai à marcher sur une jambe à cloche-pied.«  Ayant ainsi parlé, il coupa les hommes en deux, comme on coupe des alizés pour les sécher (32) ou comme on coupe un œuf avec un cheveu (33) ; et chaque fois qu’il en avait coupé un, il ordonnait à Apollon de retourner le visage et la moitié du cou du côté de la coupure, afin qu’en voyant sa coupure l’homme devînt plus modeste, et il lui commandait de guérir le reste. Apollon retournait donc le visage et, ramassant de partout la peau sur ce qu’on appelle à présent le ventre, comme on fait des bourses à courroie, il ne laissait qu’un orifice et liait la peau au milieu du ventre : c’est ce qu’on appelle le nombril. Puis il polissait la plupart des plis et façonnait la poitrine avec un instrument pareil à celui dont les cordonniers se servent pour polir sur la forme les plis du cuir ; mais il laissait quelques plis, ceux qui sont au ventre même et au nombril, pour être un souvenir de l’antique châtiment.

Or quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle ; et, s’embrassant et s’enlaçant les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble, les hommes mouraient de faim de d’inaction, parce qu’ils ne voulaient rien faire les uns sans les autres ; et quand une moitié était morte et que l’autre survivait, celle-ci en cherchait une autre et s’enlaçait à elle, soit que ce fût une moitié de femme entière — ce qu’on appelle une femme aujourd’hui — soit que ce fût une moitié d’homme, et la race s’éteignait.

Alors Zeus, touché de pitié, imagine un autre expédient : il transpose les organes de la génération sur le devant ; jusqu’alors ils les portaient derrière, et ils engendraient et enfantaient non point les uns dans les autres, mais sur la terre, comme les cigales (34). Il plaça donc les organes sur le devant et par là fit que les hommes engendrèrent les uns dans les autres, c’est-à-dire le mâle dans la femelle. Cette disposition était à deux fins : si l’étreinte avait lieu entre un homme et une femme, ils enfanteraient pour perpétuer la race, et, si elle avait lieu entre un mâle et un mâle, la satiété les séparerait pour un temps, ils se mettraient au travail et pourvoiraient à tous les besoins de l’existence. C’est de ce moment que date l’amour inné des hommes — les uns pour les autres : l’amour