Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/54

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recompose l’antique nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine.

XVI. — Chacun de nous est donc comme une tessère d’hospitalité (35), puisque nous avons été coupés comme des soles et que d’un nous sommes devenus deux ; aussi chacun cherche sa moitié. Tous les hommes qui sont une moitié de ce composé des deux sexes que l’on appelait alors androgyne aiment les femmes, et c’est de là que viennent la plupart des hommes adultères ; de même toutes les femmes qui aiment les hommes et pratiquent l’adultère appartiennent aussi à cette espèce. Mais toutes celles qui sont une moitié de femme ne prêtent aucune attention aux hommes, elles préfèrent s’adresser aux femmes et c’est de cette espèce que viennent les tribades. Ceux qui sont une moitié de mâle s’attachent aux mâles, et tant qu’ils sont enfants, comme ils sont de petites tranches de mâle, ils aiment les hommes et prennent plaisir à coucher avec eux et à être dans leurs bras, et ils sont parmi les enfants et les jeunes garçons les meilleurs, parce qu’ils sont les plus mâles de nature. Certains disent qu’ils sont sans pudeur ; c’est une erreur : ce n’est point par impudence, mais par hardiesse, courage et virilité qu’ils agissent ainsi, s’attachant à ce qui leur ressemble, et en voici une preuve convaincante, c’est que, quand ils ont atteint leur complet développement, les garçons de cette nature sont les seuls qui se consacrent au gouvernement des État s. Quand ils sont devenus des hommes, ils aiment les garçons, et, s’ils se marient et ont des enfants, ce n’est point qu’ils suivent un penchant naturel, c’est qu’ils y sont contraints par la loi : ils se contenteraient de vivre ensemble, en célibataires. Il faut donc absolument qu’un tel homme devienne amant ou ami des hommes, parce qu’il s’attache toujours à ce qui lui ressemble.

Quand donc un homme, qu’il soit porté pour les garçons ou pour les femmes, rencontre celui-là même qui est sa moitié, c’est un prodige que les transports de tendresse, de confiance et d’amour dont ils sont saisis ; ils ne voudraient plus se séparer, ne fût-ce qu’un instant. Et voilà les gens qui passent toute leur vie ensemble, sans pouvoir dire d’ailleurs ce qu’ils attendent l’un de l’autre ; car il ne semble pas que ce soit le plaisir des sens qui leur fasse trouver tant de charme dans la compagnie l’un de l’autre. Il est évident que leur âme à tous deux désire autre chose, qu’elle ne peut pas dire, mais qu’elle