Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/55

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devine et laisse deviner. Si, pendant qu’ils sont couchés ensemble, Héphaïstos leur apparaissait avec ses outils, et leur disait : « Hommes, que désirez-vous l’un de l’autre ? » et si, les voyant embarrassés, il continuait : « L’objet de vos vœux n’est-il pas de vous rapprocher autant que possible l’un de l’autre, au point de ne vous quitter ni nuit ni jour ? Si c’est là ce que vous désirez, je vais vous fondre et vous souder ensemble, de sorte que de deux vous ne fassiez plus qu’un, que jusqu’à la fin de vos jours vous meniez une vie commune, comme si vous n’étiez qu’un, et qu’après votre mort, là-bas, chez Hadès, vous ne soyez pas deux, mais un seul, étant morts d’une commune mort. Voyez si c’est là ce que vous désirez, et si en l’obtenant vous serez satisfaits. » À une telle demande nous savons bien qu’aucun d’eux ne dirait non et ne témoignerait qu’il veut autre chose : il croirait tout bonnement qu’il vient d’entendre exprimer ce qu’il désirait depuis longtemps, c’est-à-dire de se réunir et de se fondre avec l’objet aimé et de ne plus faire qu’un au lieu de deux.

Et la raison en est que notre ancienne nature était telle et que nous étions un tout complet : c’est le désir et la poursuite de ce tout qui s’appelle amour. Jadis, comme je l’ai dit, nous étions un ; mais depuis, à cause de notre injustice, nous avons été séparés par le dieu, comme les Arcadiens par les Lacédémoniens (36). Aussi devons-nous craindre, si nous manquons à nos devoirs envers les dieux, d’être encore une fois divisés et de devenir comme les figures de profil taillées en bas relief sur les colonnes, avec le nez coupé en deux, ou pareils à des moitiés de jetons (37). Il faut donc s’exhorter les uns les autres à honorer les dieux, afin d’échapper à ces maux et d’obtenir les biens qui viennent d’Éros , notre guide et notre chef. Que personne ne se mette en guerre avec Éros  : c’est se mettre en guerre avec lui que de s’exposer à la haine des dieux. Si nous gagnons l’amitié et la faveur du dieu, nous découvrirons et rencontrerons les garçons qui sont nos propres moitiés, bonheur réservé aujourd’hui à peu de personnes.

Qu’Érixymaque n’aille pas se moquer de ce que je dis, comme si je parlais de Pausanias et d’Agathon ; peut-être sont-ils en effet de ce petit nombre et tous deux de nature mâle ; je parle des hommes et des femmes en général, et je dis que notre espèce ne saurait être heureuse qu’à une condition, c’est de réaliser nos aspirations amoureuses, de rencontrer chacun le garçon qui est