Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/58

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d’autres points, je ne puis lui accorder celui-ci, qu’Éros est plus ancien que Cronos et que Japet. Je soutiens, au contraire, que c’est le plus jeune des dieux, qu’il est éternellement jeune, et que ces vieilles querelles des dieux, dont parlent Hésiode (38) et Parménide, sont l’œuvre de la Nécessité, et non d’Éros , si tant est que ces écrivains aient dit la vérité ; car ces castrations, ces enchaînements mutuels (39) et tant d’autres violences ne seraient point arrivés si Éros eût été parmi eux ; au contraire, ils auraient vécu dans l’amitié et dans la paix, comme aujourd’hui qu’Éros règne sur les dieux.

Éros est donc jeune. Il est aussi délicat ; mais il faudrait un Homère pour peindre la délicatesse de ce dieu. Homère dit d’Atè qu’elle est déesse et délicate, ou du moins que ses pieds sont délicats : « Elle a des pieds délicats, dit-il ; car elle ne touche point le sol, mais elle marche sur les têtes des hommes (40). »

C’est, ce me semble, donner une belle preuve de sa délicatesse que de dire qu’elle ne marche pas sur ce qui est dur, mais sur ce qui est mou. Nous appliquerons le même argument à Éros pour montrer sa délicatesse : il ne marche pas sur la terre, ni sur les têtes, point d’appui qui n’est pas des plus mous ; mais il marche et habite dans les choses les plus molles qui soient au monde ; c’est en effet dans les cœurs et les âmes des dieux et des hommes qu’il établit son séjour, et encore n’est-ce pas dans toutes les âmes indistinctement ; s’il en rencontre qui soient d’un caractère dur, il s’en écarte, et n’habite que celles qui sont douces. Or, puisqu’il touche toujours de ses pieds et de tout son être les choses les plus moues entre les plus molles, il faut bien qu’il soit doué de la plus exquise délicatesse. Ainsi donc il est le plus jeune et le plus délicat.

Il est en outre souple de forme, car il ne pourrait, s’il était rigide, envelopper de tous côtés son objet, ni entrer d’abord dans toute âme et en sortir sans qu’on s’en aperçoive. Une forte preuve qu’il est flexible et souple est sa grâce, attribut que, de l’aveu de tous, Éros possède à un degré supérieur ; car Éros et la difformité sont en hostilité perpétuelle. Qu’il ait un beau teint, sa vie passée au milieu des fleurs l’indique assez ; car Éros ne s’établit pas sur les objets sans fleur ou défleuris, que ce soit un corps, une âme ou toute autre chose ; mais là où il y a des fleurs et des parfums, là il se pose et demeure.

XIX. — Sur la beauté du dieu, j’en ai assez dit, bien