Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/59

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qu’il reste encore beaucoup à dire. Il me faut parler maintenant de la vertu d’Éros . Un très grand avantage est qu’Éros ne fait aucun tort à personne, soit dieu, soit homme, comme il n’en reçoit d’aucun dieu ni d’aucun homme ; en effet, s’il endure quelque chose, ce n’est point par force ; car la violence n’attaque pas Éros , et s’il fait quelque chose, il le fait sans contrainte ; en tout et partout, c’est volontairement qu’on se met au service d’Éros  ; or quand on se met d’accord volontairement de part et d’autre, les lois, « reines de la Cité » (41), déclarent que c’est justice.

Outre la justice, il a eu en partage la plus grande tempérance. On convient, en effet, qu’être tempérant c’est dominer les plaisirs et les passions ; or aucun plaisir n’est au-dessus de l’amour ; s’ils lui sont inférieurs, ils sont vaincus par lui, et il est leur vainqueur ; or étant vainqueur des plaisirs et des passions, il est supérieurement tempérant. Quant au courage, Arès lui-même ne peut tenir tête à Éros  ; car ce n’est pas Ares qui maîtrise Éros , c’est Éros qui maîtrise Arès, amoureux, dit-on, d’Aphrodite ; or celui qui maîtrise l’emporte sur celui qui est maîtrisé, et celui qui l’emporte sur le plus brave doit être le plus brave de tous. J’ai parlé de la justice, de la tempérance et du courage du dieu : il me reste à parler de son habileté, en tâchant, dans la mesure de mes forces, de ne pas rester au-dessous de mon sujet. Tout d’abord, afin d’honorer, moi aussi, notre art, comme Érixymaque a fait le sien, je dirai que le dieu est un poète si habile qu’il rend poète qui il veut ; tout homme en effet, fût-il étranger aux Muses, devient poète (42) quand Éros l’a touché, excellente preuve qu’Éros est habile en général dans toutes les œuvres des Muses : car ce qu’on n’a pas ou ce qu’on ne sait pas, on ne saurait ni le donner ni l’enseigner à un autre.

Si nous passons à la création de tous les animaux, peut-on prétendre que ce n’est pas le savoir-faire d’Éros qui les fait naître et croître tous ?

Quant à la pratique des arts, ne savons-nous pas que celui qui a pour maître ce dieu devient célèbre et illustre, et que celui qu’Éros n’a pas touché reste obscur. Si Apollon a inventé l’art de tirer de l’arc, la médecine, la divination, c’est en prenant pour guide le désir et l’amour, en sorte qu’on peut voir en lui aussi un disciple d’Éros . Il en est de même des Muses pour la musique, d’Hèphaïstos