Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/73

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XXVII. — Après avoir entendu ce discours, je lui dis, plein d’admiration : « C’est bien, très sage Diotime ; mais les choses sont-elles bien réellement comme tu le dis ? »

Elle reprit sur le ton d’un sophiste accompli : « N’en doute pas, Socrate. Aussi bien, si tu veux considérer l’ambition des hommes, tu seras surpris de son absurdité, à moins que tu n’aies présent à l’esprit ce que j’ai dit, et que tu ne songes au singulier état où les met le désir de se faire un nom et d’acquérir une gloire d’une éternelle durée. C’est ce désir, plus encore que l’amour des enfants, qui leur fait braver tous les dangers, dépenser leur fortune, endurer toutes les fatigues et sacrifier leur vie. Penses-tu, en effet, dit-elle, qu’Alceste serait morte pour Admète, qu’Achille se serait dévoué à la vengeance de Patrocle ou que votre Codros aurait couru au-devant de la mort pour garder le trône à ses enfants s’ils n’avaient pas pensé laisser de leur courage le souvenir immortel que nous en gardons aujourd’hui ? Tant s’en faut, dit-elle, et je ne crois pas me tromper en disant que c’est en vue d’une louange immortelle et d’une renommée comme la leur que tous les hommes se soumettent à tous les sacrifices, et cela d’autant plus volontiers qu’ils sont meilleurs ; car c’est l’immortalité qu’ils aiment.

Et maintenant, continua-t-elle, ceux qui sont féconds selon le corps se tournent de préférence vers les femmes, et c’est leur manière d’aimer que de procréer des enfants, pour s’assurer l’immortalité, la survivance de leur mémoire, le bonheur, pour un avenir qu’ils se figurent éternel. Pour ceux qui sont féconds selon l’esprit... car il en est, dit-elle, qui sont encore plus féconds d’esprit que de corps pour les choses qu’il convient à l’âme de concevoir et d’enfanter ; or que lui convient-il d’enfanter ? la sagesse et les autres vertus qui ont précisément pour pères tous les poètes et ceux des artistes qui ont le génie de l’invention. Mais la partie la plus importante et la plus belle de la sagesse, dit-elle, est celle qui a trait au gouvernement des État s et des familles et qu’on nomme prudence et justice. Quand l’âme d’un homme, dès l’enfance, porte le germe de ces vertus, cet homme divin sent le désir, l’âge venu, de produire et d’enfanter ; il va, lui aussi, cherchant partout le beau pour y engendrer ; car pour le laid, il n’y engendrera jamais. Pressé de ce désir, il s’attache donc aux beaux corps de préférence aux laids, et s’il y rencontre une âme belle, généreuse et