Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/72

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Elle reprit : « Et tu penses devenir jamais connaisseur en amour, en ignorant une pareille chose ?— Mais c’est pour cela, Diotime, je te le répète, que je m’adresse à toi, sachant que j’ai besoin de leçons. Dis-moi donc la cause de ces phénomènes et des autres effets de l’amour.— Si tu crois, dit-elle, que l’objet naturel de l’amour est celui sur lequel nous sommes tombés d’accord à plusieurs reprises, quitte ton air étonné. Car c’est encore ici, comme précédemment, le même principe d’après lequel la nature mortelle cherche toujours, autant qu’elle le peut, la perpétuité et l’immortalité ; mais elle ne le peut que par la génération, en laissant toujours un individu plus jeune à la place d’un plus vieux. En réalité, même dans le temps que chaque animal passe pour être vivant et identique à lui-même, dans le temps par exemple qu’il passe de l’enfance à la vieillesse, bien qu’on dise qu’il est le même, il n’a jamais en lui les mêmes choses (54) ; mais sans cesse il rajeunit et se dépouille dans ses cheveux, dans sa chair, dans ses os, dans son sang, dans tout son corps, et non seulement dans son corps, mais aussi dans son âme : mœurs, caractère, opinions, passions, plaisirs, chagrins, craintes, jamais aucune de ces choses ne reste la même en chacun de nous ; mais les unes naissent, les autres meurent.

Mais voici qui est beaucoup plus étrange encore, c’est que nos connaissances mêmes tantôt naissent, tantôt périssent en nous, et que nous ne sommes jamais identiques à nous-mêmes à cet égard ; et même chaque connaissance isolée est sujette à ce changement ; car nous n’avons recours à ce qu’on appelle réfléchir que parce que la connaissance nous échappe ; l’oubli est la fuite de la connaissance, et la réflexion, en suscitant un souvenir nouveau à la place de celui qui s’en va, maintient la connaissance, de façon qu’elle paraît être la même. C’est de cette manière que tout ce qui est mortel se conserve, non point en restant toujours exactement le même, comme ce qui est divin, mais en laissant toujours à la place de l’individu qui s’en va et vieillit un jeune qui lui ressemble. C’est par ce moyen, Socrate, ajouta-t-elle, que ce qui est mortel, le corps et le reste, participe à l’immortalité ; ce qui est immortel l’est d’une autre manière. Ne t’étonne donc plus si tout être prise son rejeton : car c’est en vue de l’immortalité que chacun a reçu ce zèle et cet amour. »