Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/85

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jouir mieux que personne, et, si on le forçait à boire, quoiqu’il ne boive pas volontiers, il avait raison de tout le monde, et, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que jamais personne ne l’a vu ivre : vous en aurez la preuve tout à l’heure, je pense. Pour endurer le froid — les hivers sont terribles en ce pays-là — il se montrait étonnant ; c’est ainsi qu’un jour par la gelée la plus forte qui se puisse voir, alors que personne ne mettait le pied dehors ou ne sortait que bien emmitouflé, chaussé, les pieds enveloppés de feutre et de peaux d’agneau, on le vit sortir avec le même manteau qu’il avait l’habitude de porter et marcher pieds nus sur la glace plus aisément que les autres avec leurs chaussures, et les soldats le regardaient de travers, croyant qu’il les bravait.

XXXVI.- Et voilà ce que j’avais à dire sur son endurance ;

« mais ce que fit et supporta ce vaillant (69) »,

en campagne, là-bas, il vaut la peine de l’entendre. Il s’était mis à méditer et il était debout à la même place depuis le point du jour, poursuivant une idée, et, comme il n’arrivait pas à la démêler, il restait debout, obstinément attaché à sa recherche. Il était déjà midi ; les soldats l’observaient et se disaient avec étonnement les uns aux autres : Socrate est là debout à méditer depuis le point du jour. Enfin, sur le soir, quelques Ioniens, après avoir dîné, apportèrent leurs lits de camp dehors, car on était alors en été, pour coucher au frais, tout en observant Socrate, pour voir s’il resterait encore debout la nuit ; et lui se tint en effet dans cette posture jusqu’à l’apparition de l’aurore et le lever du soleil ; puis il s’en alla, après avoir fait sa prière au soleil. Voulez-vous savoir ce qu’il était dans les combats ? car ici aussi il faut lui rendre justice. Dans la bataille à la suite de laquelle les stratèges m’attribuèrent le prix du courage, je ne dus mon salut qu’à Lui seul. J’étais blessé, il ne voulut pas m’abandonner, et il sauva tout ensemble et mes armes et moi-même. Pour moi, Socrate, en ce temps-là même je priai les stratèges de te donner le prix. Sur ce point non plus je ne crains ni reproche ni démenti de ta part ; mais les stratèges étant décidés, par égard pour mon rang, à m’accorder le prix, toi-même tu insistas plus qu’eux-mêmes pour qu’il me fût donné plutôt qu’à toi.

Voici encore, Messieurs, une autre rencontre où la conduite de Socrate mérite votre attention. C’était lors