Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/86

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de la déroute de l’armée à Délion (70) ; le hasard m’amena près de lui ; j’étais à cheval, lui à pied, en hoplite ; nos soldats étant en pleine déroute, il se retirait avec Lachès. Je les rencontre par hasard, et aussitôt que je les aperçois je les exhorte à avoir bon courage, et les assure que je ne les abandonnerai pas. En cette occasion je pus observer Socrate mieux encore qu’à Potidée ; car j’avais moins à craindre, étant à cheval. Je remarquai d’abord combien il était supérieur à Lachès pour le sang-froid ; je le vis ensuite, qui là, comme dans les rues d’Athènes s’avançait, suivant ton expression, Aristophane, « en plastronnant et jetant les yeux de côté » (71), et qui observait froidement amis et ennemis, et il sautait aux yeux, même de loin, que si l’on s’attaquait à un tel homme il se défendrait vaillamment. Aussi s’éloignait-il sans être inquiété, lui et son compagnon : généralement, à la guerre, en n’attaque même pas les hommes qui montrent de telles dispositions ; on poursuit plutôt ceux qui fuient à la débandade.

On pourrait citer encore beaucoup d’autres traits admirables à la louange de Socrate ; cependant, en ce qui concerne sa conduite en général, peut-être en pourrait-on dire autant d’un autre. Mais voici qui est tout à fait extraordinaire : c’est qu’il ne ressemble à aucun homme ni du temps passé, ni du temps présent. Achille a des pareils : on peut lui comparer Brasidas et d’autres ; Périclès a les siens, par exemple Nestor, Anténor et d’autres encore ; à tous les grands hommes en trouverait des pairs en chaque genre ; mais un homme aussi original que celui-ci et des discours pareils aux siens, on peut les chercher, on n’en trouvera pas d’approchants ni dans le temps passé, ni dans le temps présent, à moins de le comparer à ceux que j’ai dits, aux Silènes et aux Satyres ; car lui et ses discours n’admettent aucune comparaison avec les hommes.

XXXVII. — Effectivement c’est une chose que j’ai omis de dire en commençant, que ses discours ressemblent exactement à des silènes qui s’ouvrent. Si en effet l’on se met à écouter les discours de Socrate, on est tenté d’abord de les trouver grotesques : tels sont les mots et les tournures dont il enveloppe sa pensée qu’on dirait la peau d’un injurieux satyre. Il parle d’ânes bâtés, de forgerons, de cordonniers, de tanneurs, et il semble qu’il dit toujours les mêmes choses dans les mêmes termes, en sorte qu’il n’est lourdaud ignorant qui ne soit