Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/281

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22b chose dont je suis sûr, c’est que, si je parais devant un tri­bunal et que j’y coure un des risques dont tu parles, celui qui m’y citera sera un méchant homme ; car jamais homme de bien n’accusera un innocent. Et il n’y aurait rien d’éton­nant que je fusse condamné à mort. Veux‑tu que je te dise pourquoi je m’y attends ?

CALLICLÈS

Oui, certes.

SOCRATE

Je crois que je suis un des rares Athéniens, pour ne pas dire le seul, qui s’attache au véritable art politique, et qu’il n’y a que moi qui le pratique aujourd’hui. Comme chaque fois que je m’entretiens avec quelqu’un, ce n’est pont pour plaire que je parle, mais que je vise au plus utile et non au plus agréable, et que je ne puis me résoudre à faire ces jolies choses que tu me conseilles, je n’aurai rien à dire devant mes juges. Le cas dont je parlais à Polos est aussi le mien. Je serai jugé comme le serait un médecin accusé devant des enfants par un cuisinier. Vois en effet ce qu’un pareil accusé pris au milieu de tels juges pourrait allé­guer pour sa défense, si on l’accusait en ces termes : « Enfants, l’homme que voici vous a souvent fait du mal à vous‑mêmes et il déforme les plus jeunes d’entre vous en les incisant et les brûlant, il les réduit au désespoir en les faisant maigrir et en les étouffant, il leur donne des breuvages très amers, les force à souffrir la faim et la soif, au lieu de vous régaler, comme moi, de mille choses exquises et variées. » Que crois‑tu que pourrait dire le médecin pris dans ce guêpier ? S’il disait, ce qui est vrai : « Je n’ai fait tout cela, enfants, que pour votre santé », quelle clameur crois‑tu que pousseraient de tels juges ? Ne serait‑elle pas violente ?

CALLICLÈS

Sans doute ; il faut le croire.

SOCRATE

Ne crois‑tu pas qu’il sera fort embarrassé de savoir quoi dire ?

CALLICLÈS

Assurément.

SOCRATE

LXXVIII. — Je sais bien que la même chose m’arri­verait, si je comparaissais devant des juges ; car je ne pourrais pas alléguer que je leur ai procuré ces plaisirs qu’ils regardent comme des bienfaits et des services, tandis que moi, je n’envie ni ceux qui les procurent, ni ceux qui les reçoivent. Si on m’accuse ou de corrompre les jeunes gens, en les réduisant à douter, ou d’insulter les gens plus âgés, en tenant sur eux des propos amers, '