Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/308

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ne souhaiterait que sa propre cité fût éprouvée d’une autre manière. Du côté du Pirée comme de la ville, avec quel empressement fraternel les citoyens se rapprochèrent les uns des autres et, chose inattendue, des autres Grecs ! Avec quelle modération ils terminèrent la guerre contre ceux d’Eleusis ! Et tout cela n’eut d’autre cause que la parenté réelle, qui produit, non en paroles, mais en fait, une amitié solide, fondée sur la communauté d’origine. Il faut donc aussi se souvenir de ceux qui périrent dans cette guerre les uns par les autres, et, puisque nous sommes réconciliés nous-mêmes, de les réconcilier aussi, comme nous pouvons, en offrant, dans des cérémonies comme celle-ci, des prières et des sacrifices, en adressant nos vœux à leurs maîtres. Car ce n’est point la méchanceté ni la haine qui les mit aux prises, mais une fatalité malheureuse. C’est ce que nous attestons nous-mêmes, qui vivons, car nous, qui sommes de même race qu’eux, nous nous pardonnons mutuellement et ce que nous avons fait et ce que nous avons souffert.

XV. — Lorsque, après cela, la paix fut complètement rétablie chez nous, la cité se tint tranquille, pardonnant aux barbares qui lui avaient rendu sans demeurer en reste le mal qu’elle leur avait fait sans ménagement, mais indignée contre les Grecs, en songeant de quelle reconnaissance ils avaient payé ses bienfaits, eux qui avaient fait cause commune avec les barbares, lui avaient pris les vaisseaux auxquels ils avaient dû autrefois leur salut, et détruit les remparts que nous avions sacrifiés pour empêcher la chute des leurs. Résolue à ne plus secourir les Grecs en danger d’être asservis les uns par les autres ou par les barbares, c’est dans cet état d’esprit qu’elle se gouvernait. Tandis que nous étions dans ces dispositions, les Lacédémoniens, pensant que nous, les champions de la liberté, nous étions abattus, se firent dès lors un devoir d’asservir les autres et ils agirent en conséquence.

XVI. — Mais qu’est-il besoin de m’étendre ? Les événements que j’aurais à raconter ensuite ne datent pas d’un passé lointain ni d’autres générations que la nôtre. Nous savons nous-mêmes comment, saisis d’effroi, les premiers des Grecs, les Argiens, les Béotiens et les Corinthiens durent avoir recours à notre cité, et que, chose merveilleuse entre toutes, le Grand Roi lui-même en vint à ce point de détresse que, par suite d’un revirement de la situation, il ne trouva son salut nulle part ailleurs qu’en cette ville dont il avait tramé la perte avec passion. En vérité, si l’on voulait faire à notre cité un reproche légitime, le seul qui serait juste consisterait à dire qu’elle est trop pitoyable et qu’elle est la servante des faibles. Effectivement, dans cette circonstance non plus, elle ne