Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

difficile de devenir homme de bien ; néanmoins on peut le devenir pour un temps ; mais, après qu’on l’est devenu, persévérer dans cette disposition, et être un homme de bien à la manière que tu dis, Pittacos, c’est impossible et au-dessus des forces de l’homme ; c’est un privilège qui appartient à Dieu seul : Mais pour l’homme il est impossible qu’il ne devienne pas méchant, quand un malheur insurmontable l’abat.

Mais quel est celui qu’un malheur insurmontable abat, dans le gouvernement d’un vaisseau par exemple ? Evidemment ce n’est pas l’ignorant ; car l’ignorant est toujours abattu. De même qu’on ne peut terrasser un homme couché, mais qu’on peut terrasser et coucher un homme debout, mais un homme couché, non pas ; ainsi un malheur insurmontable peut abattre un homme de ressources, mais un homme qui en a toujours été dénué, non pas. C’est ainsi qu’une violente tempête qui se déchaîne peut déconcerter le pilote, que la venue d’une saison mauvaise peut déconcerter le laboureur, et un accident du même genre le médecin. Il est en effet possible que le bon devienne mauvais, comme en témoigne un autre poète qui a dit : L’homme de bien est tantôt méchant, tantôt bon.

Mais il n’est pas possible que l’homme méchant devienne méchant : il l’est nécessairement toujours. Ainsi quand un homme industrieux, sage et bon est abattu par un malheur insurmontable, il n’est pas possible qu’il ne soit pas méchant. Toi, Pittacos, tu soutiens qu’il est difficile d’être vertueux ; en réalité il est difficile, quoique possible, de devenir vertueux ; l’être, est impossible ; Car tout homme est bon, quand il fait bien, méchant, quand il fait mal.

Qu’est-ce donc que bien faire par rapport aux lettres, et qu’est-ce qui rend un homme bon dans les lettres ? Il est évident que c’est d’apprendre les lettres. Quelle est la bonne manière de faire pour faire un bon médecin ? Il est évident que c’est d’apprendre à soigner les malades et que celui qui les soigne mal est un mauvais médecin. Mais qui peut devenir mauvais médecin ? Il est évident que la condition préalable pour cela est d’être d’abord médecin, puis bon médecin ; on peut alors devenir mauvais médecin ; mais nous qui ignorons la médecine, nous ne saurions, en faisant mal, devenir médecins, non plus que charpentiers, ni artisans d’aucune espèce. Or quiconque ne saurait devenir médecin, en faisant mal, ne saurait évidemment non plus devenir mauvais médecin. Ainsi l’homme de bien peut devenir méchant par l’effet de l’âge, ou du travail, ou de la maladie, ou de quelque autre accident ; car la seule manière de mal faire, c’est