Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/90

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vois de quel côté est l’avantage ; si en effet tu pèses des choses agréables avec des choses agréables, il faut toujours choisir les plus grandes et les plus nombreuses ; si tu pèses des choses désagréables avec des choses désagréables, il faut prendre les moins nombreuses et les plus petites ; si tu pèses des choses agréables avec des choses désagréables et que les plaisirs l’emportent sur les douleurs, les choses éloignées sur les choses prochaines ou les choses prochaines sur les choses éloignées, il faut faire l’action où l’on voit cet avantage ; si au contraire les douleurs l’emportent sur les plaisirs, il faut s’abstenir ; y a-t-il en cela, mes amis, dirais-je, un autre parti à prendre ? Je suis persuadé qu’ils ne sauraient en trouver d’autre.

Protagoras en jugea de même.

— Si donc il en est ainsi, je vous prierai de répondre à la question que voici : Les mêmes objets ne paraissent-ils pas à vos yeux plus grands, de près, plus petits, de loin ?

— Sans doute, diront-ils.

— N’en est-il pas de même pour la grosseur et pour le nombre ? et des sons égaux ne sont-ils pas plus forts, entendus de près, plus faibles, entendus de loin ?

— Ils en conviendraient.

— Si donc notre bonheur consistait à faire et à choisir ce qui est grand, à éviter et à ne pas faire ce qui est petit, où trouverions-nous le salut de notre vie ? dans l’art de mesurer ou dans la faculté de saisir les apparences ? N’avons-nous pas vu que celle-ci nous trompait, nous faisait souvent interpréter les mêmes choses de cent façons, et regretter nos actes et nos choix, relativement à la grandeur et à la petitesse, tandis que l’art de mesurer aurait enlevé toute autorité à cette illusion et, nous révélant la vérité, aurait assuré à notre âme une tranquillité fondée sur le vrai et sauvé ainsi le bonheur de notre vie ? Nos gens reconnaîtraient-ils là que notre salut dépend de l’art de mesurer et non d’un autre ?

— De l’art de mesurer, convint Protagoras.

— Mais si notre salut dépendait du choix de l’impair ou du pair, et qu’il nous fallût choisir sans nous tromper le plus ou le moins, en les comparant chacun avec lui-même ou l’un avec l’autre, soit qu’ils fussent proches, soit qu’ils fussent éloignés, qu’est-ce qui pourrait assurer notre salut ? Ne serait-ce pas une science ? ne serait-ce pas une science des mesures, puisqu’il s’agit ici de l’art de mesurer l’excès et le défaut des choses ? et comme cet art s’applique ici à l’impair et au pair, est-il autre que l’arithmétique ? Nos gens nous l’accorderaient-ils, oui ou non ?

Protagoras lui-même fut d’avis qu’ils nous l’accorderaient.

— Voilà qui est bien, mes amis. Mais puisqu’il nous a paru que le salut de notre vie dépend du juste choix des