Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/91

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plaisirs et des douleurs, selon qu’ils sont plus nombreux ou moins nombreux, plus grands ou plus petits, plus éloignés ou plus rapprochés, n’est-il pas tout d’abord évident que l’examen de l’excès, du défaut et de l’égalité des uns par rapport aux autres suppose une méthode de mensuration ?

— Absolument évident.

— Si c’est une méthode de mensuration, il faut à coup sûr que ce soit un art et une science.

— Ils l’admettront.

— Ce qu’est cet art et cette science, nous l’examinerons une autre fois ; il nous suffit que ce soit une science pour la démonstration que Protagoras et moi devons vous faire sur la question que vous nous avez posée.

Rappelez-vous quelle était votre question. Nous venions de convenir, Protagoras et moi, qu’il n’y a rien de plus fort que la science et que, partout où elle se trouve, elle a toujours l’avantage sur le plaisir et sur toutes les autres passions ; alors vous, vous avez soutenu que le plaisir triomphe souvent même de l’homme qui a la science, et comme nous n’avons pas voulu vous accorder ce point, vous nous avez demandé : Protagoras et Socrate, si ce n’est pas là être vaincu par le plaisir, qu’est-ce alors et comment qualifiez-vous cela ? dites-le-nous. Si nous vous avions répondu tout de suite que c’est de l’ignorance, vous vous seriez moqués de nous, tandis qu’à présent, si vous vous moquez de nous, vous vous moquerez aussi de vous-mêmes ; car vous avez reconnu que, quand on pèche, on pèche faute de science dans le choix des plaisirs et des peines, c’est-à-dire des biens et des maux, et non faute de science simplement, mais faute de cette science que vous avez reconnue tout à l’heure être la science des mesures. Or, toute action fautive par défaut de science, vous le savez bien, est commise par ignorance, en sorte qu’être vaincu par le plaisir, c’est la pire des ignorances. Cette ignorance, Protagoras que voici, Prodicos et Hippias font profession de la guérir ; mais vous, qui croyez que c’est tout autre chose que l’ignorance, vous ne venez pas vous-mêmes et vous n’envoyez pas vos enfants chez les maîtres de vertu, je veux dire les sophistes que voici, parce que vous êtes persuadés que la vertu ne peut être enseignée ; vous préférez ménager votre argent et en refusant de le leur donner, vous faites mal vos affaires publiques et privées.

XXXVIII. — Voilà ce que nous aurions répondu au peuple ; et à présent, avec Protagoras, je vous le demande à vous, Hippias et Prodicos, afin que vous preniez part au débat, trouvez-vous que ce que j’ai dit est vrai ou faux ?

Ils furent tous d’avis que ce que j’avais dit était d’une merveilleuse vérité.