Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/112

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tantôt ignorant de ce qui est à ses pieds et embarrassé sur toutes choses.

THÉODORE

Tout cela se passe exactement comme tu le dis, Socrate.

SOCRATE

XXV. — Mais, mon ami, lorsque lui-même est parvenu à tirer quelqu’un vers les hauteurs et que celui-ci a consenti à sortir de ces questions : « Quel tort t’ai-je fait, et toi à moi ? » pour passer à l’examen de la justice en elle-même et de l’injustice, et chercher en quoi consiste l’une et l’autre, et en quoi elles diffèrent l’une de l’autre et des autres choses ; s’il a renoncé à s’enquérir si le roi qui possède de granos trésors est heureux, pour considérer la royauté et le bonheur ou le malheur humain en général, leur essence respective et la manière dont l’homme doit naturellement rechercher l’un des deux et fuir l’autre, quand, sur toutes ces questions, cet homme d’esprit étroit, âpre et chicanier, est contraint à son tour de donner réponse, il doit subir alors la peine du talion. La tête lui tourne à se voir suspendu si haut et, comme il n’a pas l’habitude de regarder du milieu des airs, il est inquiet, embarrassé, bégayant, et il apprête à rire, non pas à des servantes de Thrace, ni à aucun autre ignorant, car ils ne s’aperçoivent de rien, mais à tous ceux qui ont reçu une éducation contraire à celle des esclaves[1].

Tel est, Théodore, le caractère de l’un et de l’autre. L’un, que tu appelles philosophe, élevé au sein de la liberté et du loisir, ne doit pas être blâmé d’avoir l’air d’un homme simple et qui n’est bon à rien quand il se trouve en face de besognes serviles, quand, par exemple, il ne sait pas empaqueter une couverture de voyage, assaisonner un plat ou tenir des propos flatteurs. L’autre est capable de faire tout cela avec dextérité et promptitude, mais il ne sait pas relever son manteau sur l’épaule droite à la façon d’un homme libre, ni saisir l’harmonie des discours et chanter comme il faut la vraie vie des dieux et des hommes heureux.

THÉODORE

Si tu parvenais, Socrate, à persuader à tout le monde comme à moi ce que tu viens de dire, il y aurait plus de paix et moins de maux parmi les hommes.

SOCRATE

Oui ; mais il n’est pas possible, Théodore, que les maux

  1. Cf. à ces deux portraits, celui que Calliclès trace dans le Gorgias (485 d) de l’homme qui a pratiqué trop longtemps la philosophie, et celui du philosophe au 6e livre de la République (517 c-518 a-b)