Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/113

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disparaissent, car il faut toujours qu’il y ait quelque chose de contraire au bien, ni qu’ils aient place parmi les dieux, et c’est une nécessité qu’ils circulent dans le genre humain et sur cette terre. Aussi faut-il tâcher de fuir au plus vite de ce monde dans l’autre. Or, fuir ainsi, c’est se rendre, autant que possible, semblable à Dieu, et être semblable à Dieu, c’est être juste et saint, avec l’aide de l’intelligence. Mais en fait, mon excellent ami, il n’est guère facile de persuader aux gens que les raisons pour lesquelles le vulgaire prétend qu’il faut éviter le vice et poursuivre la vertu ne sont pas celles pour lesquelles il faut pratiquer l’une et fuir l’autre. La vraie raison n’est pas d’éviter la réputation de méchant et de passer pour vertueux : c’est là pour moi ce qu’on appelle un bavardage de vieille femme ; mais la vérité, je vais te la dire. Dieu n’est injuste en aucune circonstance ni en aucune manière ; il est, au contraire, la justice même et rien ne lui ressemble plus que celui d’entre nous qui est devenu le plus juste possible. C’est à cela que se mesure la véritable habileté d’un homme et sa nullité et sa lâcheté. C’est cela dont la connaissance est sagesse et vertu véritable, dont l’ignorance est sottise et vice manifeste. Les autres prétendus talents et sciences ne sont dans le gouvernement des Etats que des connaissances grossières et, dans les arts, qu’une routine mécanique. Lors donc qu’un homme est injuste et impie dans ses paroles et ses actions, le mieux est de ne pas lui accorder qu’il est habile par astuce ; car de telles gens tirent gloire d’un tel reproche et se figurent qu’on leur dit qu’ils ne sont pas des songe-creux, inutiles fardeaux de la terre[1], mais les hommes qu’il faut être pour se tirer d’affaire dans la cité. Il faut donc leur dire ce qui est vrai, que moins ils croient être ce qu’ils sont, plus ils le sont réellement. Ils ignorent en effet quelle est la punition de l’injustice, ce qu’il est le moins permis d’ignorer. Ce n’est pas ce qu’ils s’imaginent, ni les coups, ni la mort, auxquels ils échappent quelquefois complètement tout en faisant le mal ; c’est une punition à laquelle il est impossible de se soustraire.

THÉODORE

De quelle punition parles-tu ?

SOCRATE

Il y a, cher ami, dans la nature des choses, deux exemplaires, l’un divin et bienheureux, l’autre ennemi de Dieu et très malheureux. Mais ils ne voient pas cela : leur stupidité et l’excès de leur folie les empêchent de sentir

  1. Expression d’Homère, Iliade, XVIII, 104 ; Odyssée, XX, 379.