qu’en passant, nous lui ferons tort, et si nous l’examinons comme il le mérite, son étendue nous fera perdre de vue la question de la science. Il faut s’abstenir de l’un comme de l’autre, et tâcher plutôt par notre art d’accoucheur de délivrer Théétète de ses conceptions sur la science.
Oui, c’est ce qu’il faut faire, si tu en es d’avis.
Fais donc encore, Théétète, l’observation suivante sur ce qui a été dit. Tu as répondu, n’est-ce pas, que la sensation est la science ?
Oui.
Maintenant, si l’on te demandait avec quoi l’homme voit le blanc et le noir et avec quoi il entend les sons aigus et les graves, tu dirais, je pense : avec les yeux et les oreilles.
Oui.
Employer les mots et les phrases à son aise, sans les passer rigoureusement au crible, n’est point en général une marque de bassesse ; c’est plutôt le contraire qui est indigne d’un homme libre. Cependant, c’est parfois nécessaire ; c’est ainsi, par exemple, qu’il faut relever dans ta réponse ce qu’elle a de défectueux. Réfléchis : lequel des deux est le plus correct, de dire que c’est avec ou par les yeux que nous voyons, avec les oreilles ou par les oreilles que nous entendons ?
Il me semble, Socrate, que c’est plutôt par qu’avec les organes que nous percevons chaque chose.
Ce serait en effet bien étrange, mon enfant, qu’un certain nombre de sens fussent logés en nous, comme si nous étions autant de chevaux de bois[1], et qu’ils ne se rapportent pas tous à une même idée, qu’on l’appelle âme ou de quelque autre nom, par laquelle, usant d’eux comme d’instruments, nous percevons tout ce qui est sensible.
- ↑ C’est le cheval de Troie, où se logèrent les héros grecs, qui a suggéré à Platon cette comparaison.