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NOTICE

rhapsode est-il un emprunt maladroit à l’argumentation de la seconde ?[1] Nous ne le croyons pas. Il tend à prouver qu’Ion, s’il parlait d’Homère d’après une τέχνη, saurait également parler d’Hésiode. L’argument est à sa place dans la démonstration. Dans la seconde, l’exemple prendrait un autre sens : il servirait à montrer que, sur chaque τέχνη particulière, le rhapsode est dépourvu de la compétence propre au spécialiste. Par deux voies différentes Platon s’achemine à la même conclusion : Ion ne possède pas de τέχνη.

Quant aux contradictions, où sont-elles ? Il est vrai que la ποιητικὴ τέχνη paraît présentée tour à tour comme une et multiple, ce que Schleiermacher[2] juge inacceptable. Mais le raisonnement est celui-ci. S’il existe une ποιητικὴ τέχνη, elle doit permettre à qui la possède de parler de tous les poètes avec une égale compétence. Ion en est incapable ; cette τέχνη lui fait donc défaut. D’ailleurs l’œuvre poétique — celle d’Homère, dont s’occupe Ion — se résout en éléments qui relèvent de τέχναι diverses. Il ne peut être question d’une ποιητικὴ τέχνη. Le rhapsode possède-t-il du moins une de ces τέχναι, qui le mettrait en état de porter un jugement sur telle ou telle partie d’Homère ? Non : il est impossible de trouver dans l’œuvre homérique rien qui se rattache à une ῥαψῳδικὴ τέχνη[3].

Enfin, si le véritable but de l’Ion ne s’aperçoit pas au premier coup d’œil, c’est sans doute que l’auteur avait ses raisons pour ne pas mettre en scène un poète. C’est à dessein qu’il a pris un rhapsode, mais son intention apparaît clairement lorsqu’on étudie la composition même, et qu’on replace l’Ion dans l’ensemble de l’œuvre de Platon.

Wilamowitz, après Goethe, signale ce qu’il y a d’ « aristophanesque » dans le ton du dialogue. La conclusion de

  1. Comme le prétend Schleiermacher, o. l., p. 309.
  2. o. l., p. 182.
  3. L’idée, exposée dans l’Ion, que le poète ne peut produire avec succès que dans un seul genre n’est pas en contradiction, quoi qu’en dise Schleiermacher (o. l., p. 311), avec l’endroit du Banquet (223 d) où Socrate oblige Agathon et Aristophane d’admettre que le poète capable de composer des tragédies d’après une τέχνη doit être aussi en état d’écrire des comédies. Comme nul n’a pu le faire (Rép., III, 395 a), il n’y a qu’une conclusion à en tirer : la τέχνη fait défaut aux poètes (voir H. Raeder, o. l., p. 167).