Page:Plaute, Térence, Sénèque - Théâtre complet, Nisard.djvu/694

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point d’honneur. Quant à mes biens, sur lesquels ils ne devaient pas compter, souffrez qu’ils en jouissent : (820) cela ne fera point brèche au capital. Tout ce qui viendra de mon côté, ce sera autant de gagné. Si vous vouliez vous mettre cela dans la tète, mon frère, vous vous épargneriez bien des ennuis, à vous, à eux et à moi.

DE. Ne parlons pas de l’argent, soit ; mais leur conduite ?…

MI. Attendez. (825) Je conçois ; c’est là que j’en voulais venir. Il y a dans l’homme mille nuances, d’après lesquelles il est facile de le juger. Deux hommes font-ils la même chose, vous pouvez souvent dire : Un tel a bien pu se permettre cela ; mais l’autre n’aurait pas dû le faire. Ce n’est pas qu’il y ait quelque différence dans leur conduite ; mais il y en a dans leur caractère. (830) Ce que j’ai vu des caractères de nos enfants me fait espérer qu’ils seront tels que nous les désirons. Je leur trouve du bon sens, de l’intelligence, de la réserve, quand il le faut, une affection réciproque ; ce sont les traits distinctifs d’un noble cœur, d’un bon naturel. Vous les ramènerez quand vous le voudrez. Mais peut-être craignez-vous qu’ils ne soient (835) un peu trop indifférents pour leurs intérêts. Ah ! mon frère, l’âge nous donne de la raison, nous rend sages à tous autres égards ; seulement il nous apporte certain petit défaut : il nous fait attacher trop de prix à l’argent. Le temps leur inspirera bien assez tôt ce goût.

DE. (840) Pourvu que toutes ces bonnes raisons, mon frère, que toute votre indulgence ne nous perdent pas.

MI. C’est bon, il n’en sera rien. Chassez ces noires idées, abandonnez-vous à moi pour aujourd’hui, et déridez-moi ce front.

DE. Allons, puisqu’il le faut, je me soumets. Mais demain, dès le point du jour, (845) je pars avec mon fils pour la campagne.

MI. Même avant le jour, je vous le conseille. Tout ce que je demande, c’est que vous soyez de bonne humeur aujourd’hui.

DE. Et cette chanteuse, je l’emmène aussi avec moi.

MI. Vous ferez un coup de maître ; ce sera le moyen de fixer votre fils là-bas. Tâchez seulement de la bien garder.

DE. J’en fais mon affaire. (850) Je veux qu’elle travaille si bien à la cuisine et au moulin, qu’elle y soit enfumée, enfarinée, couverte de cendres ; je l’enverrai aux champs ramasser de la paille par un beau soleil de midi ; bref, je la ferai tellement rôtir, qu’elle deviendra noire comme un charbon.

MI. A la bonne heure ; vous voilà raisonnable maintenant. (855) A votre place, j’obligerais même mon fils à coucher avec elle, bon gré mal gré.

DE. Vous raillez ? Que vous êtes heureux d’avoir un tel caractère ! Et moi je suis….

MI. Ah ! vous allez recommencer ?

DE. Non, je me tais.

MI. Entrez donc. Ce jour est un jour de fête, passons-le gaiement.



SCENE IV (Déméa, seul)

On a beau s’être fait un plan de vie bien raisonné ; (860) les circonstances, l’âge, l’expérience y apportent toujours quelque changement, vous apprennent toujours quelque chose. Ce qu’on croyait savoir, on l’ignore ; ce qu’on mettait en première ligne, on le rejette dans la pratique. C’est ce qui m’arrive aujourd’hui. J’ai vécu durement jusqu’à ce jour, et voici qu’au terme de ma carrière je change d’habitudes. Pourquoi ? parce que l’expérience m’a prouvé (865) que rien ne réussit mieux à l’homme que l’indulgence et la bonté. C’est une vérité dont il est facile de se convaincre par mon exemple et par celui de mon frère. Toute sa vie, il l’a passée dans les plaisirs et la bonne chère ; tou-