Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 1.djvu/29

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SOSIE. « Enfin les ennemis sont en pleine déroute ; l’ardeur des nôtres grandit, une grêle de traits perce les corps des fuyards. Amphitryon immole de sa propre main le roi Ptérélas. La bataille a duré depuis le matin jusqu’au soir. Il m’en souvient d’autant mieux que ce jour-là fut pour moi jour de jeûne. Mais enfin la nuit vient séparer les combattants. Le lendemain, les chefs de la cité se rendent à notre camp, les yeux baignés de larmes ; leurs mains sont voilées de bandelettes, ils implorent leur pardon ; ils se livrent à nous corps et bien ; leurs temples, leurs maisons, leur ville, leurs enfants, ils remettent tout à la, discrétion du peuple thébain. Amphitryon, pour prix de sa valeur, reçoit la coupe dont se servait le roi Ptérélas. » Et voilà comment je raconterai l’affaire à ma maîtresse. Mais hâtons-nous d’exécuter les ordres de mon maître et d’entrer à la maison.

MERCURE, à part. Sur ma foi, notre homme vient de ce côté ; allons à sa rencontre. Je saurai bien l’empêcher de tout le jour de mettre le pied céans. Puisque j’ai pris ses traits, je veux me divertir un peu à ses dépens. J’ai sa figure, son maintien ; il est bien juste que j’aie aussi sa manière d’agir et son caractère. Soyons donc fourbe, rusé, malin, et chassons-le d’ici avec ses propres armes. Mais à qui en a-t-il ? le voilà qui regarde le ciel. Sachons ce qu’il veut.

SOSIE. Certes, s’il est une chose au monde dont je sois sûr, quand le bon Nocturnus[1] s’est endormi hier au soir, il avait un doigt de vin. Les étoiles de l'Ourse ne font pas un pas dans le ciel, la lune ne bouge pas, la voilà au même point où elle s’est levée. Orion, Vesper, les Pléiades, personne ne se couche. Tout est immobile là-haut, et la nuit ne songe pas à faire place au jour.

MERCURE, à part. Continue, ô nuit, continue d’obéir à mon père. Tu rends le meilleur service au meilleur des dieux ; et tu fais bien, il t’en sera reconnaissant.

SOSIE. Je ne pense pas avoir vu jamais une nuit aussi longue, si ce n’est celle que je passai tout entière au gibet, après les étrivières ; mais, ma foi, celle-ci me semble bien plus longue encore. Sans doute Phébus dort à poings fermés pour avoir trop caressé la bouteille. Que je meure s’il n’a fait hier une petite débauche.

MERCURE, à part. Qu’est-ce à dire, maraud ? t’imagines-tu que

  1. Le dieu de la nuit.