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chez elle son enfant. Voilà ce qui s’est passé ; maintenant adieu, et triomphez par ce vrai courage qui vous a donné la palme tant de fois. Conservez vos alliés, les anciens et les nouveaux : doublez vos ressources par de justes lois, écrasez vos ennemis, moissonnez glorieusement les lauriers, et que les Carthaginois vaincus reçoivent de vous leur châtiment.


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ACTE II.

SCÈNE I. — ALCÉSIMARQUE, MÉLÉNIS.

ALCÉSIMARQUE. Je crois en vérité que l’inventeur du métier de bourreau c’est l’amour : j’en ai la preuve par moi-même, sans la chercher ailleurs ; je souffre plus que tous les hommes ensemble de ces angoisses qui me pressent le cœur. Malheureux ! me voilà lancé, torturé, agité, piqué, retourné sur la roue de l’amour ; je me sens suffoqué, emporté, rapporté, tiraillé, mis en pièces. Un épais nuage voile mon âme ; je ne suis pas où je suis, mon cœur est où je ne suis pas ; j’éprouve à la fois tous les caprices, et ce qui me plaît, le moment d’après ne me plaît plus. C’est ainsi que l’amour se joue d’un cœur épuisé ; il me chasse, me poursuit, m’assaille, m’entraîne, me retient, me caresse, me comble ; il me donne et ne me donne pas ; il m’abuse sans cesse, me pousse ici, puis me rappelle et me montre encore ce dont il m’a éloigné. Il me ballotte comme sur une mer orageuse, et brise mon pauvre cœur amoureux ; je n’ai plus qu’à couler bas pour que ma perte soit consommée. Ainsi voilà six jours de suite que mon père me retient à la campagne, sans qu’il me soit permis de voir ma maîtresse. Est-il rien de plus affreux ?

MÉLÉNIS. Vraiment, vous prenez un ton, depuis que vous êtes le fiancé d’une riche fille de Lemnos ! Épousez-la : nous ne sommes pas de si haut parage que vous, et notre fortune est loin de valoir la vôtre ; pourtant, je ne crains pas qu’on nous reproche d’avoir oublié notre serment. Pour vous, s’il vous en cuit, vous saurez à qui la faute.

ALCÉSIMARQUE. Que les dieux m’exterminent…

MÉLÉNIS. Puissent-ils vous entendre !

ALCÉSIMARQUE. Si j’épouse jamais celle que mon père me destine.