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Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T2 - 1850.djvu/504

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Livre XXXVI.

I

(I.)
1.
Il reste à parler des pierres, la plus grande folie de notre temps, quand même nous ne dirions rien des pierreries, des succins, des cristaux et des murrhins. Tout ce dont nous avons traité jusqu’au présent livre peut paraître créé pour l’homme ; mais les montagnes, la nature les avait faites pour elle-même, afin de protéger par une sorte de construction les entrailles de la terre, afin de dompter la violence des fleuves, de briser les flots de la mer, et de contenir par ce qu’elle avait de plus dur les éléments les plus turbulents. 2 Et nous, nous coupons en masses, nous les transportons sans autre intérêt que celui de nos plaisirs ; ces masses que jadis c’était une merveille d’avoir franchies. Nos aïeux regardaient presque comme un prodige le passage des Alpes par Annibal et puis par les Cimbres. Maintenant ces monts sont taillés pour nous livrer mille espèces de marbre. On ouvre les promontoires à la mer ; on travaille à niveler le globe. Nous enlevons les barrières destinées à séparer les nations ; nous construisons des vaisseaux pour transporter des marbres ; et à travers les flots, le plus terrible élément de la nature, nous faisons voyager les cimes des montagnes : fureur plus pardonnable cependant que d’aller chercher jusque dans la région des nuages des vases pour rafraîchir les boissons, et d’aller creuser des roches voisines du ciel pour boire dans la glace. 3 Qu’on réfléchisse, quand on entend dire le prix de ces choses, quand ou voit ces masses rouler et s’avancer, qu’on réfléchisse combien de gens vivent1 plus heureux sans ces superfluités. Pour quelle utilité ou pour quel plaisir les mortels se font-ils les agents ou plutôt les victimes de tant de travaux, si ce n’est afin de reposer entre des pierres tachetées ? comme si les ténèbres de la nuit ne privaient pas la moitié de la2 vie de cette sorte de jouissance !

II

1 En faisant ces réflexions, on est pris d’une grande honte même pour l’antiquité. Il existe des lois censoriales (VIII, 82) défendant de servir sur les tables des glandes de porc, des loirs, et autres délicatesses inutiles à mentionner ; et aucune n’a été rendue qui défendît d’importer des marbres et de traverser les mers pour cet objet. (II.) Mais, dira-t-on peut-être, c’est qu’alors on n’en importait point. Cela est faux. Du temps de l’édilité de M. Scaurus (XXXVI, 24) on vit porter trois cent soixante colonnes pour décorer un théâtre temporaire, destiné à servir un mois tout au plus ; et les lois se sont tues. C’était sans doute indulgence pour les plaisirs publics. 2 Mais, justement, pourquoi cette indulgence ? par quel chemin les vices s’introduisent-ils plus que par le chemin public ? par quelle autre voie en effet3 les ivoires, l’or, les pierreries, ont-ils passé dans l' usage particulier ? Est-il rien qu’on ait réservé pour les dieux ? Mais soit, accordons qu’on ait eu de l’Indulgence pour les plaisirs publics : pourquoi a-t-on gardé le silence lorsque d’énormes colonnes de marbre Iuculléen (XXXVI, 8), hautes de