Page:Pline le Jeune - Panégyrique de Trajan, trad. Burnouf, FR+LA, 1845.djvu/19

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II. Il est une chose que doit observer, je ne dis pas tout consul, mais tout citoyen qui parle de notre prince : c’est de n’en rien dire qui puisse avoir été dit de quelque autre avant lui. Bannissons donc et rejetons bien loin ces expressions que la tyrannie arrachait à la crainte. Ne disons rien comme autrefois ; les maux d’autrefois ne pèsent plus sur nous. Que nos discours publics soient différents, quand nos secrets entretiens ne sont plus les mêmes. Que la diversité des époques se reconnaisse à celle du langage ; et que le ton seul des remerciements annonce en quel temps et à qui les grâces furent rendues. Ne nous faisons point un dieu pour le flatter : ce n’est pas un tyran, mais un citoyen ; ce n’est pas un maître, mais un père, qui est le sujet de ce discours. Il se croit l’un de nous, et rien ne le distingue et ne le relève autant que de se confondre avec nous, et de ne pas oublier qu’il est homme, comme il n’oublie pas qu’il commande à des hommes. Comprenons donc notre bonheur ; et, par la manière d’en user, montrons que nous en sommes dignes[1]. Ayons souvent à la pensée combien il serait odieux de prodiguer plus d’hommages aux maîtres qui nous veulent esclaves, qu’aux princes amis de notre liberté. Le peuple romain, pour sa part, sait faire entre ses chefs une juste différence ; et, si naguère il en proclamait un le plus beau des hommes, il proclame celui-ci le plus brave ; si ses acclamations exaltèrent dans un autre le geste et la voix, elles louent en celui-ci la piété, le désintéressement, la douceur. Nous-mêmes, est-ce la divinité de notre prince, ou son humanité, sa tempérance, sa bonté, que, dans les élans de l’amour et de la joie, nous célébrons à l’envi ? Et quoi de plus conforme à l’esprit d’une cité et d’un sénat libres, que ce surnom de Très-Bon qu’il a reçu de nous, et que l’orgueil de ses prédécesseurs lui a rendu propre et personnel ? Enfin, quel sentiment d’égalité respire et dans nos cris d’allégresse : « Heureux empire, heureux empereur ! » et dans ces vœux où nous demandons tour à tour « qu’il fasse toujours ainsi, que toujours il soit ainsi loué ; » comme si nous mettions nos éloges au prix de ses vertus ! Et, à ces paroles, ses yeux s’emplissent de lar-

  1. Je suis la leçon de Schæfer, déjà indiquée par J. Lipse : dignosque nos illis (sc. bonis) usu probemus. Les trois manuscrits de la bibliothèque du roi portent illius usu.