Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LIVRE PREMIER.

père en donnant à l’âme le pouvoir de se servir du corps comme d’un instrument [c’est-à-dire de lui commander : ce que fait la philosophie[1]]. Mais avant que l’âme fût ainsi séparée du corps par la philosophie, dans quel état se trouvait-elle ? Était-elle mêlée au corps ? Si elle y était mêlée, ou elle formait avec lui une espèce de mixtion[2], ou elle était répandue dans tout le corps, ou elle était une forme inséparable du corps[3], ou elle était une forme gouvernant le corps, comme le pilote gouverne son navire[4], ou enfin elle était en partie attachée au corps, en partie séparée. J’appelle partie séparée du corps celle qui se sert du corps comme d’un instrument, partie attachée au corps celle qui s’abaisse au rang d’instrument. Or la philosophie élève cette deuxième partie au rang de la première ; quant à la première partie, elle la détourne, autant que nos besoins le permettent, du corps dont elle se sert, en sorte qu’elle ne s’en serve pas toujours.

IV. Supposons l’âme mêlée au corps. Dans ce mélange, la partie inférieure, le corps, devra gagner, et la partie supérieure, l’âme, devra perdre : le corps gagnera en participant à la vie, l’âme perdra en participant à une nature mortelle et irraisonnable. L’âme, en perdant la vie jusqu’à un certain point, recevra-t-elle, comme un accessoire, la faculté de sentir ? Le corps au contraire, en participant à la vie, ne devra-t-il pas recevoir la sensation et les passions qui en dérivent ? C’est donc le corps qui éprouvera le désir : car c’est lui qui jouira des objets désirés ; c’est le corps qui éprouvera la crainte : car c’est lui qui pourra voir échapper les plaisirs qu’il recherche, c’est lui enfin qui sera exposé à périr[5].

En admettant le mélange de l’âme et du corps, si toutefois ce mélange n’est pas impossible, comme le serait par

  1. Voy. Enn. I, liv. ii, § 5.
  2. C’était, selon M. Ravaisson (Essai sur la Métaphysique d’Aristote, tom. II, p. 297), l’opinion des Stoïciens.
  3. C’était l’opinion d’Alexandre d’Aphrodisie. Voy. ibid., p. 300, 375.
  4. Voy. Enn. IV, liv. iii, § 21. Cette comparaison est tirée d’Aristote, De l’Âme, liv. II, § 1.
  5. Voy. Enn. IV, liv. iv, § 20.