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PREMIÈRE ENNÉADE.

la modération dans les désirs ou le courage : le courage, puisqu’il n’a aucun danger à craindre, étant à l’abri de toute atteinte ; la modération, puisqu’il ne peut exister aucun objet agréable dont la présence excite ses désirs, dont l’absence excite ses regrets. Mais si Dieu aspire comme nous-mêmes aux choses intelligibles, c’est évidemment de là que nous recevons l’ordre et les vertus.

Dieu possède-t-il donc ces vertus ?

Il n’est pas convenable de lui attribuer les vertus qu’on nomme civiles (πολιτικαί) : la prudence, qui se rapporte à la partie raisonnable de notre être, le courage, qui se rapporte à la partie irascible, la tempérance, qui consiste dans l’accord et l’harmonie de la partie concupiscible et de la raison, la justice enfin, qui consiste dans l’accomplissement par toutes ces facultés de la fonction propre à chacune d’elles, soit pour commander, soit pour obéir[1]. Mais si ce n’est pas par les vertus civiles que nous pouvons nous rendre semblables à Dieu, n’est-ce pas par des vertus qui sont d’un ordre supérieur et qui portent le même nom ? Dans ce cas, les vertus civiles sont-elles complètement inutiles pour atteindre notre but ? Non : on ne peut pas dire qu’en les pratiquant on ne ressemble en aucune manière à Dieu : car la renommée proclame divins ceux qui les possèdent. Elles nous donnent donc quelque ressemblance avec Dieu, mais c’est par les vertus d’un ordre supérieur que nous lui devenons complètement semblables.

Il semble que de l’une ou de l’autre façon on est conduit à attribuer à Dieu des vertus, quoique ce ne soient pas des vertus civiles. Si l’on accorde que, bien que Dieu ne possède pas les vertus civiles, nous pouvons lui devenir semblables par d’autres vertus (car il peut en être autrement pour des

  1. Ces définitions sont empruntées à Platon, République, liv. iv, p. 434 de l’édition de H. Étienne.